« Que devons-nous faire ? » (3e Dim. de l’Avent, de Gaudete - Année C)

donnée au couvent de Paris

Textes liturgiques (année C) : So 3, 14-18a ; Is 12, 2-3, 4bcde, 5-6 ; Ph 4, 4-7 ; Lc 3, 10-18

« Que devons-nous faire ? ». Cette question que les foules posaient à Jean, nous nous la posons aussi, surtout lorsque nous ne sommes pas dans la joie à laquelle nous sommes invités en ce dimanche. Nous nous demandons : que faire pour aller mieux ? Nous avons essayé beaucoup de choses, et puis toujours cette insatisfaction, cette attente… Oui, Dieu ne demande qu’à nous partager sa joie, nous disent avec force les textes d’aujourd’hui. Mais, « que devons-nous faire » pour avoir part à cette joie ?

S’il y en a un pour qui cela ne semble pas faire de difficultés, c’est l’apôtre Paul ! Nous venons d’entendre ce qu’il écrivait aux philippiens : « ne soyez inquiets de rien » ; « soyez dans la joie ». Mais la joie peut-elle se décider ? Peut-elle se commander ? Le malheur, lui, nous pouvons le fabriquer, nous pouvons pour une part le maîtriser, et nous y enfermer. C’est d’ailleurs un piège : sans nous en rendre compte, nous pouvons céder à la tentation de préférer un malheur que nous parvenons à contrôler, à une joie que nous risquons de perdre. Comme si mieux valait un chez-soi morne et tristounet, que le grand large d’une joie impossible à maîtriser et, qui risque, une fois calmée, de vous laisser dans la tempête ou le calme plat.

« Laissez-moi vous le redire : soyez dans la joie ». Cette phrase de Paul est précédée d’une autre : « soyez toujours… dans la joie du Seigneur ». Voilà qui change tout : il s’agit d’abord de la joie d’un autre, d’une joie qui est déjà là, et qui est la vie de Dieu qui, comme nous le dit la première lecture veut avoir en nous sa joie et son allégresse. Réécoutons cette annonce : « le Seigneur aura en toi sa joie et son allégresse ; il te renouvellera par son amour ; il dan-sera pour toi avec des cris de joie, comme aux jours de fête ». Cette joie promise autrefois, Jean-Baptiste a annoncé sa venue toute proche, et Paul déclare qu’elle est déjà là. Elle donc là pour toi aussi, aujourd’hui, en ce moment même.

« Il dansera pour toi avec des cris de joie, comme aux jours de fête ». Lorsque d’autres dansent et se réjouissent, nous sommes parfois gagnés par leur joie, qui devient la nôtre : nous parlons alors d’une joie contagieuse. Parfois aussi, elle renforce notre sentiment de solitude et notre nostalgie d’un bonheur perdu, ou jamais vrai-ment connu. C’est que les autres dansent entre eux, et moi, personne ne m’invite. Beaucoup le ressentent au moment des fêtes, et risquent d’être gagnés par l’amertume et la jalousie. Mais Dieu, lui, n’est pas un danseur comme les autres, il danse pour nous, pour chacun d’entre nous. Comment, en quelque sorte, entrer dans la danse de Dieu ?

Il s’agit tout d’abord d’avoir foi en celui qui est joie sans bornes et nous invite chez lui. Ensuite, il est important de répondre à celui qui nous invite à la danse : consentir à ne plus « faire tapisserie », comme on le dit de celle que personne n’invite à danser, et qui préfère ne plus l’espérer, plutôt que d’être déçue, et dépendante de la bonne grâce d’autrui. Mais je n’ai pas besoin d’être un prix de beau-té physique ou morale pour que Dieu m’invite, c’est son invitation, c’est sa bienveillance, c’est sa grâce qui m’embellit.

Une autre chose est essentielle : que je n’attache pas inconditionnellement ma joie à quelque chose d’autre, que je considère plus important pour le moment. Par exemple : être débarrassé de mes motifs d’inquiétude et de peine : « je ne pourrai me réjouir que lorsque telle problème sera résolu, ou lorsque tel désir sera satis-fait ! » La joie qui vient après la peine, qui « essuiera toute larme de nos yeux », la joie sans mélange et sans fin, nous ne la connaîtrons qu’après la mort. Pour pouvoir vivre celle que Dieu nous offre aujourd’hui, il nous faut consentir à ce qu’elle soit compatible avec nos vécus douloureux.

Or, nous le savons par expérience, plus le vécu est douloureux, plus il risque de nous enfermer en nous-mêmes : je suis seul à le ressentir, et personne ne peut me comprendre. D’une certaine façon, le problème, dans « ma souffrance », c’est ma. Tout change, même si la douleur ne disparaît pas, si elle est partagée de l’intérieur avec celui qui l’a prise sur lui pour nous donner part à sa joie. Certes, l’évidence te dit que tu es seul avec ton vécu, comme enfermé en lui. Mais la foi te dit tout autre chose : présent en toi, Jésus te con-naît intimement, il vit en toi et avec toi ce que tu vis en ce moment. D’une façon mystérieuse, il l’éprouve en toi et avec toi, et te pro-pose d’accueillir cela comme une libération : « je ne suis pas enfermé dans ma peine, car elle est habitée intérieurement par Celui qui m’offre de la vivre en communion avec moi ». C’est cela, la pleine communion dans l’amour : avoir tout en commun, y compris notre vécu intime. Dans la mesure où nous nous ouvrons à ce mystère, peu à peu, le vécu intime de Jésus, et par lui, de Dieu lui-même, devient notre vécu. Nous ne sommes plus « condamnés », en quelque sorte à être isolés dans notre vécu incommunicable, nous sommes plongés dans l’espace toujours plus large de la communion d’amour que Dieu est, et à laquelle il ne cesse de nous inviter à prendre part. « Le Seigneur aura en toi sa joie et son allégresse ; il te renouvellera par son amour ; il dansera pour toi avec des cris de joie, comme aux jours de fête » : pour qu’il ait maintenant en toi sa joie et son allégresse, pour qu’elle devienne tienne, pour qu’elle soit nôtre, pour que nous ayons tout en commun avec lui : pendant un moment de silence, demandons lui de nous ouvrir à ce mystère de partage, de communion intime, qui nous délivre de nous-mêmes et nous ouvre à l’espace illimité de la communion à la fois la plus intime et la plus ouverte aux autres.

Fr. Jean-Baptiste Lecuit, ocd - (https://www.carmes-paris.org)

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