Parmi les disciples du Baptiste, plusieurs ont hésité longtemps entre le Précurseur et Jésus, même après la mort de leur premier maître. À plusieurs reprises le quatrième évangile essaie de leur venir en aide. D’où les allusions au Baptiste qui émaillent déjà le Prologue : « Il n’était pas la lumière, mais le témoin de la lumière … Il est venu comme témoin, pour rendre témoignage à la lumière. »
Ce témoignage du Baptiste lui-même, que nous ici dans l’Évangile, a dû avoir d’autant plus d’impact qu’il a été livré en réponse à des prêtres et à des lévites mandatés par les autorités religieuses de Jérusalem pour lui demander : « Qui es-tu ? »
Les questions sont précises, pertinentes, et amènent Jean Baptiste à récuser successivement trois rôles que, d’après son comportement et à la lumière de la tradition biblique, on était tenté de lui attribuer. Et le Baptiste ne laisse rien dans le flou :
- il n’est pas le Messie, le lieutenant royal de Dieu ;
- il n’est pas Élie revenu, celui qui doit inaugurer les derniers temps ;
- il n’est pas le prophète tel que Moïse, censé renouveler les prodiges de l’Exode, celui dont Moïse disait, dans le Deutéronome : « Yahweh ton Dieu suscitera pour toi, du milieu de toi, parmi tes frères, un prophète tel que moi, que vous écouterez » (Dt 18,15).
Sa véritable mission, Jean la reconnaît dans le texte d’Isaïe : « Je suis la voix qui crie, dans le désert : Aplanissez le chemin du Seigneur » (Is 40,3). Une voix ! Non pas un visage, qui fascine et qui retient, mais une voix, tout entière au service du message qu’elle crie au monde.
De fait, inlassablement, le Baptiste renvoie au plus grand, au plus puissant qui vient derrière lui et qui va « se manifester à Israël » : « Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas ! »
Ce n’est pas un reproche aux disciples, mais une affirmation sur le style de l’Envoyé de Dieu, le Messie caché dans l’ordinaire des hommes, Jésus de Nazareth. Les disciples ne le connaissent pas, non par mauvaise volonté, mais parce qu’il doit se révéler progressivement, « être manifesté à Israël ».
Comment découvrir celui qui se cache ? Le Baptiste nous suggère seulement une attitude fondamentale, celle de l’humilité et du service : d’avance il est prêt à s’agenouiller devant celui que Dieu lui montrera. Mais la première lettre johannique va plus loin et plus profond, et nous indique, à nous, disciples du Christ, la route à suivre pour rejoindre celui qui se cache à notre foi :
- « ce que nous avons entendu depuis le commencement »,
- et « l’onction que nous avons reçue de lui » (1 Jn 1,1 ; 2,27).
Il nous faut donc garder en nous les paroles de Jésus, transmises depuis le commencement de son ministère, et laisser travailler en nous l’Esprit Saint, l’Esprit Paraclet, qui nous enseigne tout en nous remémorant ce que Jésus nous a dit et en rendant ces paroles vivantes comme une fontaine.
De tout temps les prophètes, hommes de l’Esprit, ont lu le présent du peuple de Dieu en se référant à la fois aux événements fondateurs et aux promesses du Maître de l’histoire. Dans le temps de l’Église, l’Esprit Paraclet nous habilite au même repérage prophétique sur l’origine et sur la fin, sur l’alpha et sur l’oméga ; et en chaque aujourd’hui du salut il réalise à l’intime des cœurs à la fois une anamnèse actualisante des paroles de Jésus et un réveil de l’espérance dans ses promesses.
Que ce même Esprit, envoyé conjointement par le Père et le Fils, nous donne de relire ensemble notre passé dans sa propre lumière, afin que ces moments du souvenir actualisent aujourd’hui les intuitions de nos grands saints et revitalisent l’espérance que Jésus nous a mise au cœur en nous appelant à sa suite.
Fr. Jean-Christian Lévêque, o.c.d.