De la condamnation à la communion (Ho 5° dim. carême - Année C)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année C) : Is 43, 16-21 ; Ps 125 (126) ; Ph 3, 8-14 ; Jn 8, 1-11

De la femme adultère, ce cinquième dimanche de Carême est aussi celui de saint Paul « lancé vers l’avant » ! Ne passons pas en effet à côté de notre deuxième lecture, texte de feu qui inspira tant la spiritualité chrétienne et peut attiser notre marche vers Pâques. Paul, en confiance avec les Philippiens, après avoir décliné, dans le passage précédant notre lecture, ses lettres de noblesse (« circoncis dès le 8e jour, hébreu fils d’hébreux, pharisien, persécuteur de l’Église ») affirme, selon un retournement tout évangélique, que ces avantages sont des pertes et que les perdre est le véritable avantage : trace manifeste de sa conversion radicale sur le chemin de Damas qui l’a fait entrer dans la logique de la grâce et la rencontre de Jésus et de son Église (« c’est moi que tu persécutes »). Mais ce texte va plus loin. Il évoque non tant cette mise en route que la durée de la route qui, loin d’être achevée, ne demande pas moins d’ardeur et de travail de la grâce : oublier le chemin parcouru, oublier les appuis du passé pour ne pas s’arrêter en cours de route, se laisser ralentir ni détourner. «  Poursuivre sa course  » non avec parcimonie ni avec la routine tristounette ou franchement triste de la résignation voire du ressentiment ou autre médiocrité, tel est bien le défi de notre vie chrétienne.

Ce n’est pas aux couples mariés depuis plusieurs années – il y en a dans notre assemblée – que je vais l’apprendre. L’afflux actuel de catéchumènes qui est source d’émerveillement et comme une promesse pour notre Église nous renvoie également à ce défi qui est celui de la persévérance (car « toujours dure longtemps ») et plus profondément de la croissance spirituelle. A cela aussi les équipes de catéchuménat doivent pouvoir former et accompagner. Sans pour autant faire du cynisme en gouaillant que ce sont « les trente premières années qui sont les plus difficiles » il ne faudrait pas tomber dans une sorte de jeunisme pastoral fasciné par ces mises à feu de la grâce mais qui confondrait la chaleur de brindilles en feu à celle des braises. La posture « lancé vers l’avant » – « l’épectase » comme l’a appelé Grégoire de Nysse qui l’illustre avec la Bien Aimée du Cantique allant de commencement en commencement – Paul en précise l’objectif : la connaissance du Christ. Elle consiste en une transformation radicale par l’effet puissant de sa Résurrection, de conformation à sa mort et ses souffrances dans un mouvement de dépouillement, de relation avec le Père entretenue malgré les forces hostiles du refus et du péché qui nous assaillent et d’espérance invincible. Il s’agit d’une collaboration avec la grâce car il ne s’agit pas tant de saisir que d’être saisi. Et Paul de préciser qu’il s’agit d’être reconnu juste, c’est-à-dire ajusté et pour cela raboté, modelé au Christ, ce que l’oraison liturgique de ce jour exprime en termes de marche dans la charité du « Fils qui a aimé le monde jusqu’à donner sa vie pour lui ». Il y a là un bel encouragement pour la dernière phase du carême qu’inaugure ce cinquième dimanche, « temps de la Passion » qui nous conduira jusqu’à triduum pascal. Peu importent nos exploits ou nos déboires de ces semaines écoulées, la grâce est toujours nouvelle et nous tourne vers ces promesses : « oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus ». Notre évangile a de quoi nourrir cette course même s’il semble nous renvoyer aux premières Demeures du Château pour reprendre l’image de Thérèse d’Avila. Celle-ci commence son maitre-ouvrage par comparer notre âme à un château aux nombreuses demeures dont les plus profondes sont habitées par le Roi. Thérèse insiste sur la beauté de ces demeures que rien ne peut entraver, pas même le péché qui certes, telle la suie ou la poisse recouvre mais ne détruit pas. Thérèse implore ceux qui veulent l’entendre d’entrer dans ce château indiquant la porte : l’oraison et la considération. Il semble bien que ce soit cette expérience fondatrice que Jésus fait faire aux protagonistes de notre évangile. En renvoyant les accusateurs à leur conscience, il les fait entrer en eux-mêmes et accéder à un chemin de vérité. En éclairant la femme de son regard par le bas, lui qui s’est abaissé, il lui lui révèle sa dignité inaliénable, ne l’enfermant pas dans ce qu’elle a fait : elle n’est pas tant la femme adultère que la femme non condamnée appelée à marcher selon la grâce : « va et désormais ne pèche plus ».

Cet évangile – vous le savez sans doute – ne se trouve pas dans nombreux manuscrits anciens. Il n’en est pas moins canonique et inspiré mais il a un goût de parabole lucanienne de la miséricorde qui peut évoquer en plusieurs points celle de la semaine dernière. J’en distingue quatre. Dans les deux cas, la postérité l’a nommé de celui qui bénéficie de la miséricorde (enfant prodigue, femme adultère) alors que l’évangile pointe avant tout l’attitude de dureté et d’aveuglement de ceux qui « ne mouillent pas à la grâce » pour parler comme Péguy (le fils ainé, les accusateurs de la femme et plus encore piégeurs de Jésus). Troisièmement, à travers elles, c’est la figure divine qui se dévoile : le Père prodigue la semaine dernière et la profondeur humanodivine de Jésus aujourd’hui. St Paul invite à connaitre le Christ : l’évangile nous en fait découvrir l’humanité profonde. Nous admirons sa grande délicatesse et sa justesse relationnelle. Alors que scribes et pharisiens parlent, pleins de mépris, de « ces femmes-là », Jésus, lui adresse cette parole éminemment respectueuse : « femme ». Nous contemplons sa profonde liberté : ne se laissant pas embarquer dans la diabolique alternative de ses adversaires, il les emmène sur un autre terrain, les renvoyant à eux-mêmes. Symboliquement, nous le voyons prendre le péché du monde : à la fin de l’évangile, il se retrouve « au milieu » comme la femme et peu après c’est lui qui sera menacé de lapidation : stratégie pascale du « pour nous » qu’exprime aussi son mouvement d’abaissement et de relèvement. Quatrième ressemblance, l’évangile reste ouvert : que sont-ils devenus, les fils du Père prodigue, les accusateurs et la femme de ce jour ? A nous d’y répondre en poursuivant notre marche avec ardeur, en nous laissant conformer au Christ qui se donne. Et qu’avec les chacals et les autruches du prophète nous sachions rendre grâce d’être ainsi façonnés et désaltérés par la grâce. Amen

Fr. Guillaume Dehorter, ocd - (https://carmes-paris.org/couvent-avon)
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