I - Le Bon Dieu est-il content de moi ? (Ms. B 2r°-v°)
Thérèse fait un rêve qui constitue un véritable rayon de lumière dans la nuit de la foi dans laquelle elle se trouve plongée depuis plusieurs mois : elle est en effet assaillie par des doutes lancinants sur l’existence du Ciel. Elle sait par ailleurs que sa mort est prochaine. Malgré tout cela, elle reçoit, à travers ce rêve, la conviction que le Bon Dieu est content d’elle. Elle n’a rien à ajouter à ses pauvres actions malgré l’écart immense qu’il y a entre ses désirs infinis et ce qu’elle réalise. L’une des questions qu’elle pose dans ce rêve porte en effet sur l’authenticité de sa petite voie. La réponse est d’autant plus importante que Thérèse reçoit aussi dans ce rêve la confirmation de sa mort prochaine : le Bon Dieu est content d’elle ; elle n’a rien à ajouter à ses pauvres actions.
La question qu’elle pose à la mère Anne de Jésus rencontrée en rêve porte donc sur la validité de sa petite voie. Alors qu’elle est plongée dans la nuit de la foi, Thérèse peut en effet se demander si elle n’est pas dans l’erreur. Dieu ne l’abandonnerait-il pas parce qu’elle serait infidèle en s’appuyant aussi aveuglément sur sa miséricorde ? Elle se voit dans une galerie qui rappelle le tunnel de la nuit de la foi évoqué dans le Manuscrit C (f° 5 v°). Mère Marie de Gonzague est la seule personne proche d’elle dans le rêve, car c’est aussi la seule personne à laquelle elle ait confié son épreuve spirituelle dans la réalité.
Le voile soulevé de la bienheureuse Anne de Jésus est un voile protecteur qui ne voile que pour découvrir la lumière. Ce n’est pas ce mur de la nuit de la foi qui obscurcit toute vue. La bienheureuse Anne de Jésus dit alors à Thérèse : « le Bon Dieu ne demande rien autre chose de vous, il est content, très content !… » Avec cette réponse, Thérèse se sent confirmée dans sa voie. Au réveil, dans la paix retrouvée, une question brûlante surgit, celle de la fécondité d’une telle épreuve. Thérèse confrontée à la nuit s’interroge sur le sens de sa vocation alors que s’achève une vie dévorée par le désir de l’Absolu.
II - La recherche de la vocation (2 v°-3 v°)
1) Désirs touchant à l’infini [A1]
Thérèse éprouve une grande souffrance liée à la tension qui existe entre des désirs qui touchent à l’infini et le sentiment de n’être pas comblée par sa vie de carmélite. La tension est extrême car ses désirs se heurtent à la réalité de sa condition de femme et de carmélite extrêmement limitée dans ses possibilités d’action. Elle a conscience de la disproportion inouïe entre son désir d’action et la petitesse des actions qu’elle accomplit réellement.
2) Reconnaissance de son impuissance [A2]
Non seulement Thérèse reconnaît sa faiblesse, mais c’est sur elle qu’elle appuie sa confiance en Dieu qui lui a déjà montré combien il prenait soin d’elle en raison de cette faiblesse.
3) Confiance en Jésus qui exauce Thérèse en raison de sa faiblesse [B1]
La confiance de Thérèse se fonde sur son expérience passée de la bonté de Dieu ; celui-ci a su exaucer à cause de sa faiblesse ces désirs enfantins qu’elle a énuméré à la fin du Manuscrit A ; a fortiori ne va-t-il pas exaucer des désirs aussi forts et sérieux que ceux qu’elle éprouve maintenant ?
4) recherche active [B2] et découverte
La persévérance dans les faibles efforts a consisté ici dans cette recherche d’une réponse dans l’Écriture solennellement mise en scène par l’évocation de Marie-Madeleine au matin de la Résurrection. Comme Marie-Madeleine auprès du tombeau vide, Thérèse reste là et se baisse à plusieurs reprises. Elle cherche en se penchant sur son propre néant, sans peur parce qu’elle met sa confiance en Jésus.
5) Abandon à l’Amour [C] : acte d’offrande
La fécondité de la petite voie repose sur le Christ, car cet amour qui s’abaisse jusqu’au néant, c’est celui du Crucifié : La petite voie est liée à la Pâque du Fils de Dieu fait homme tel qu’elle est exprimée par l’hymne de la lettre aux Philippiens (Ph.2,6-11) : Dieu lui-même s’abaisse jusqu’au néant de Thérèse qui a accepté son impuissance, sa faiblesse, son imperfection, sa petitesse en l’offrant au feu de l’Amour.
Pour s’approprier l’amour, la seule voie est de se laisser saisir par le mouvement même de l’amour qui vient à nous en Jésus-Christ, Dieu fait homme pour nous unir à Dieu. Le repos est donné dans la découverte de la charité comme voie par excellence : la petite voie n’est autre que la charité du Christ habitant notre cœur.
A l’abîme vertigineux du néant correspond l’abîme de l’amour : ils s’appellent mutuellement. En attendant, Thérèse est prête à rester dans la nuit aussi longtemps que le Seigneur le voudra. Non seulement la petite voie n’est pas mise en échec mais, dans cette nuit de la foi, elle permet à Thérèse d’accueillir en son néant la folie de l’amour du Christ. Il s’agit donc plutôt du couronnement de l’itinéraire de Thérèse. Elle porte à son accomplissement son acte d’offrande. Elle ne possède plus rien, pas même la jouissance de la foi et vit pour l’Église et le monde cette épreuve de dépouillement radical. Dans la séparation sensible d’avec Dieu, elle vit une communion plus profonde que jamais avec l’humanité incroyante.
6) Une expérience pascale
Thérèse a identifié sa recherche à celle de Marie-Madeleine auprès du tombeau vide (cf. de l’épisode du Colisée en Ms.A 60v°-61r°). Elle reste là et se baisse à plusieurs reprises. Elle cherche et elle trouve grâce à sa foi en la Parole de Jésus. Elle cherche en se penchant sur son propre néant, sans peur parce qu’elle met sa confiance en Jésus ; c’est là en effet que Jésus se manifeste à elle et lui révèle ce mystère inouï :
C’est maintenant Dieu lui-même qui s’abaisse jusqu’au néant. Il s’agit du néant de Thérèse qui a accepté son impuissance, sa faiblesse, son imperfection, sa petitesse, qui a choisi de rester petite pour s’offrir à Dieu, au feu de son amour :
Pour s’approprier l’amour, la seule voie est d’acquiescer à ce que l’on est, à son statut de pauvreté devant Dieu, d’accepter de se laisser enflammer par l’amour lui-même au lieu de vouloir se hausser soi-même ; se laisser saisir par le mouvement même de l’amour qui vient à nous, qui descend tel un aigle. C’est le mystère de l’incarnation du Verbe.
L’Amour dont il s’agit est donc bien l’Amour même de Dieu tel qu’il nous est donné dans le Christ. C’est le Christ lui-même aimant en nous son Père et nous faisant participer de la vie trinitaire dans le Feu de l’Esprit Saint. Ce n’est pas nous qui pouvons aimer comme Dieu l’attend de nous. Il faut que lui-même vienne aimer en nous mais cela ne se fait pas sans opérer en nous une réelle transformation à travers le dépouillement de nous-mêmes. Cette transformation est joie de ne rien être par soi-même et pauvreté offerte à l’excès de l’Amour.
7) La fécondité de la petite voie dans la nuit de la foi
Non seulement la petite voie n’est pas mise en échec mais, dans cette nuit de la foi, elle permet à Thérèse d’accueillir en son néant la folie de l’amour du Christ. Il s’agit donc plutôt du couronnement de l’itinéraire de Thérèse. Elle porte à son accomplissement son acte d’offrande. Elle ne possède plus rien, pas même la jouissance de la foi et vit pour l’Église et le monde cette épreuve de dépouillement radical. Dans la séparation sensible d’avec Dieu, elle vit une communion plus profonde que jamais avec l’humanité incroyante. La finale du texte est une synthèse de la petite voie et de l’acte d’offrande.
III -Mise en œuvre pour l’église (Ms. B 4 r°-v°)
…O mon Jésus ! je t’aime, j’aime l’Église ma Mère, je me souviens que : « Le plus petit mouvement de pur amour lui est plus utile que toutes les autres œuvres réunies ensemble » mais le pur amour est-il bien dans mon cœur ?… Mes immenses désirs ne sont-ils pas un rêve, une folie ???? Ah ! s’il en est ainsi, Jésus, éclaire-moi, tu le sais, je cherche la vérité… si mes désirs sont téméraires, fais-les disparaître car ces désirs sont pour moi le plus grand des martyres…(1) Cependant je le sens, ô Jésus, après avoir aspiré vers les régions les plus élevées de l’Amour, s’il me faut ne pas les atteindre un jour, j’aurai goûté plus de douceur dans mon martyre, dans ma folie, que je n’en goûterai au sein des joies de la patrie, à moins que par un miracle tu ne m’enlèves le souvenir de mes espérances terrestres. Alors laisse-moi jouir pendant mon exil des délices de l’amour… Laisse-moi savourer les douces amertumes de mon martyre… »
Au caractère apparemment excessif des désirs de Thérèse correspond son réalisme profond qui lui permet d’inscrire dans toute la réalité de sa vie son désir de servir le Christ et l’Église. Ce passage s’achève sur une association étroite entre l’amour pour Jésus et l’amour pour l’Église.
Thérèse évoque à nouveau ses doutes sur l’authenticité de désirs aussi intenses mais à travers sa souffrance elle est si profondément heureuse de vivre pour Jésus qu’elle demande à pouvoir vivre jusqu’au bout ce martyre. Ce texte témoigne du travail constant que Thérèse fait sur son propre désir pour qu’il ne dérive pas en illusion.
La fécondité apostolique des petites actions de Thérèse repose toute entière sur l’insertion totale de Thérèse dans l’Église (enfant de l’Église). L’image des pétales de fleurs qui sont amenés au Christ par toute une chaîne de sainteté avant de redescendre sur terre pour y apporter des grâces exprime avec simplicité ce mystère. C’est dans la communion des Saints que nous portons du fruit pour le salut du monde, en solidarité avec tous dans le Christ. C’est dans cette communion que nos humbles actes d’amour peuvent circuler dans le corps tout entier de l’Église.
La petite voie est ecclésiale : L’Église est, avec le Christ, le fondement de la fécondité de la petite voie.
Thérèse met en œuvre sa petite voie dans son amour pour l’église. Elle passe du désir humain d’une gloire personnelle à la joie désintéressée de communier à la gloire de l’église en étant son enfant. Elle vivra cela de manière cachée en accomplissant pleinement pour elle les moindres actes de sa vie de carmélite. Elle ne cherche pas à correspondre de manière infantile au désir d’une mère idéale, car il lui suffit de lui appartenir pour en recevoir un rayonnement de joie. Alors qu’au point de départ la petite voie était centrée sur la relation à Jésus, elle intègre pleinement ici la relation à l’Église. La vocation est une mission reçue de Dieu mais dans l’Église, par elle et pour elle :
- Thérèse se tourne vers l’Église du Ciel pour demander la grâce de pouvoir exercer la fécondité de sa mission pour la seule gloire de Dieu et de l’Église. Pour cela elle veut être l’enfant de l’Église du Ciel.
- Il s’agit d’aimer dans la communion de l’Église céleste pour que cet amour soit efficace et vienne soutenir l’Église de la terre.
- Cet amour s’exercera en jetant des fleurs (petits efforts et petits sacrifices accomplis par amour pour l’Église) ; ces fleurs seront jetées en chantant pour signifier que ce don sera vécu dans un authentique oubli de soi (oubli de la peine que coûte ces efforts) pour le bien de l’Église.
- Ces fleurs tiendront leur valeur et leur efficacité de ce qu’elles seront accueillies par l’Église du Ciel qui les répandra en bienfaits pour la terre. Thérèse reçoit de l’inépuisable fécondité de l’Église sa propre fécondité personnelle.
- La fin du texte comprend une exclamation où l’amour de Jésus et de l’Église sont étroitement associés. L’amour du Christ lié à l’amour de l’Église est porteur de salut pour l’humanité entière, car l’Église est le signe visible de la solidarité de tous les hommes dans le Christ :
IV - La parabole du petit oiseau (Ms.B 4v°-5v°)
La parabole du petit oiseau permet à Thérèse de dire de façon voilée comment cette vocation brûlante à l’amour est vécue dans la nuit de la foi et un extrême sentiment d’impuissance humaine. Le désir de la plénitude de l’Amour est comparé aux aspirations de l’Aigle alors que l’impuissance à voler vers le Soleil de l’Amour exprime le ressenti de Thérèse : faisant effort pour soulever ses petites ailes, avec un audacieux abandon, le petit oiseau veut rester à fixer son Divin Soleil. Ici, c’est l’abandon à l’Amour miséricordieux qui est qualifié d’audacieux.
1) La petite voie appliquée à la vocation de l’Amour
Thérèse avait déjà exprimé une interrogation concernant l’authenticité de ses désirs. Ne sont-ils pas un rêve, une folie ? Son questionnement va porter maintenant sur la nature de la perfection à laquelle elle est appelée. Elle n’est pas arrivée au repos tranquille d’une certitude définitivement acquise. Son questionnement durera jusqu’à la fin :
2) Croire dans la nuit de la foi
Les sombres nuages (doutes contre la foi), l’orage n’attristent pas Thérèse. Au contraire, ils sont pour elle cause de la joie parfaite. Dans la nuit, elle parvient à trouver joie et bonheur. Ce premier temps de la joie consiste à pouvoir nommer la profondeur des ténèbres où elle se trouve, de pouvoir en avoir une conscience pleinement lucide. Vient ensuite la réalité durable du bonheur comme fruit d’une volonté et d’une longue patience. Ce bonheur est de « rester là quand même, de fixer l’invisible lumière qui se dérobe à Sa foi. » (Ms.B 5r°) Durer dans la foi est cette grâce étonnante que Thérèse découvre et dont le rêve n’était que le prélude (cf Ms.B 2v°).
Il s’agit pour Thérèse de faire confiance envers et contre tout : la nuit de la foi pourrait la faire douter de l’amour de ce Dieu dont elle a perdu l’évidence ; mais par sa fidélité dans la prière, elle garde le mérite de demeurer tournée vers le Seigneur malgré la nuit ! Cela peut être un motif de confiance.
3) Faire confiance envers et contre tout
Cette grâce est d’autant plus étonnante qu’elle expérimente son impuissance totale jusque dans le domaine de la foi. Auparavant cette impuissance concernait son désir de sainteté mais la foi lui était aussi naturelle que la respiration. Dorénavant, elle comprend qu’il s’agit d’un don de Dieu qui dépasse les possibilités humaines. Cette impossibilité humaine de croire porte sur le Dieu de l’Évangile car les fantasmes ne manquent pas de faire surgir l’idole angoissante d’un dieu dévorateur.
a) Malgré les distractions
Mais que reste-t-il de cette confiance quand viennent des distractions qui la détournent de cette vigilance ? Thérèse fait alors un nouveau saut dans la foi en revenant sans se décourager vers Dieu avec humilité.
b) Malgré le sommeil
Mais que dire alors quand elle dort purement et simplement ? même cela ne suffit pas à ébranler sa confiance car les parents aiment tout autant leurs enfants qu’ils soient endormis ou éveillés.
c) Malgré les angoisses
De même que le sommeil peut être agité par des cauchemars, la prière au lieu d’être un lieu de paix devient parfois le lieu d’angoisses incoercibles. Cela ne peut venir que des démons (les vautours) et Thérèse refuse de s’y arrêter. Ils ne parviennent pas à entamer sa confiance au milieu de cette terrible nuit.
Il y a ainsi un crescendo dans l’évocation des motifs pouvant ébranler la confiance de Thérèse : la nuit de la foi vient en premier, car elle pourrait être compensée par la fidélité dans la prière que vit Thérèse ; mais sa prière est un lieu de distractions, de somnolence et finalement d’angoisses ; faisant écho au cri de Saint Paul selon lequel rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus (cf. Rm.8,35-39) Thérèse vit jusqu’au bout la grâce de la petite voie alors même qu’elle est éprouvée au cœur même de sa foi et de sa vocation contemplative.
d) Le fondement eucharistique de la petite voie
C’est en se tournant vers Jésus, contemplé dans le mystère de l’Eucharistie que Thérèse dépasse ces angoisses et peut reconnaître le Dieu qui est descendu jusqu’à nous pour être lui-même notre nourriture.
Jésus, je suis trop petite pour faire de grandes choses… et ma folie à moi, c’est d’espérer que ton Amour m’accepte comme victime… Ma folie consiste à supplier les Aigles mes frères, de m’obtenir la faveur de voler vers le Soleil de l’Amour avec les propres ailes de l’Aigle Divin…
Aussi longtemps que tu le voudras, ô mon Bien-Aimé, ton petit oiseau restera sans forces et sans ailes, toujours il demeurera les yeux fixés sur toi, il veut être fasciné par ton regard divin, il veut devenir la proie de ton Amour… Un jour, j’en ai l’espoir, Aigle Adoré, tu viendras chercher ton petit oiseau, et remontant avec lui au Foyer de l’Amour, tu le plongeras pour l’éternité dans le brûlant Abîme de Cet Amour auquel il s’est offert en victime… »
Le Christ sauveur et créateur se donne en nourriture pour nous faire vivre. L’image inquiétante de l’Aigle, qui pourrait bien dévorer le petit oiseau, est métamorphosée par la révélation évangélique : Dieu lui-même se donne pour être notre nourriture. Cela suscite un émerveillement sans borne chez Thérèse qui souffre dans son ultime maladie d’angoisses de dévoration liées à sa toute petite enfance : elle peut consentir à être la proie d’un tel amour et se laisser dévorer par lui à travers sa mort prochaine.
Cette grâce est d’autant plus étonnante qu’elle expérimente son impuissance totale jusque dans le domaine de la foi. Auparavant l’acceptation de l’impuissance exigée par la petite voie concernait le désir de la sainteté, mais la foi était aussi naturelle à Thérèse que la respiration. Dorénavant, elle comprend que la foi est un don de Dieu qui excède les possibilités humaines. L’impossibilité de croire porte sur le Dieu de l’évangile, tout autre que celui que l’homme imagine, car les fantasmes de Thérèse font surgir l’idole angoissante d’un dieu dévorateur. Mais en se tournant vers Jésus, Thérèse dépasse ces angoisses de malade anorexique et peut reconnaître le Dieu qui loin de dévorer est descendu jusqu’à nous pour être lui-même notre nourriture.
Jésus est au cœur de la foi pour nous révéler le vrai visage de Dieu. L’image ambivalente de l’aigle est ainsi travaillée de l’intérieur par la foi en l’évangile. A partir de cette humanité de Dieu révélée par le Christ s’ouvre pour nous le chemin de notre divinisation. Ainsi voyons-nous Thérèse traverser successivement la nuit de la foi, les distractions dans la prière, le sommeil à l’oraison et les angoisses de dévoration grâce à une remise totale d’elle-même par la foi au Dieu de l’évangile qui se révèle en Jésus.
V - Une petite voie missionnaire (Ms.B 5v°)
Thérèse si impatiente vit la pleine acceptation du temps, de la durée indéterminée de l’épreuve dans la patience et l’espérance. Son désir s’élargit à la multitude : Thérèse a confiance dans le fait que Jésus puisse faire découvrir la petite voie à une multitude d’autres âmes.
Thérèse conclut ainsi le Manuscrit B en exprimant le désir que cette petite voie soit universellement connue et pratiquée. C’est en effet un chemin accessible à tous et surtout aux plus petits à qui le Royaume est destiné en priorité. En cela, la petite voie est une expression de la Bonne Nouvelle.
La petite voie est accessible à tous : il est possible à tout chrétien de reconnaître dans sa faiblesse la plus profonde la présence du Christ. Il suffit d’y consentir et d’offrir à son amour le « oui » de notre foi dans l’action de grâce pour nous-mêmes et pour les autres. La charité consiste à assumer notre faiblesse non comme un fardeau, mais comme une grâce qui nous est faite pour vivre radicalement de foi et d’espérance. Ainsi sommes-nous libres pour aimer notre prochain à partir du meilleur de nous-mêmes.
Dans l’expérience de la gratuité du don de Dieu, nous pouvons être proches des hommes et des femmes qui ne reconnaissent pas explicitement ce don. Nous ne sommes pas différents d’eux. Radicalement pauvres au regard de ce don, nous expérimentons qu’il dépasse toute compréhension humaine. Il exige pourtant l’engagement de notre liberté la plus profonde. Cette liberté nous conduit à nous reconnaître frères ou sœurs de tout être humain.
Thérèse a vécu consciemment une profonde solidarité avec les petits. Elle veut être la plus petite pour être avec Jésus mais aussi pour montrer aux petits que l’amour est venu jusqu’à eux, qu’ils peuvent faire confiance à l’Amour et l’accueillir dans leur vie. à travers l’épreuve de la foi, Thérèse est comme identifiée au Christ, consumée par son amour au sein de l’épreuve que son acte d’offrande transforme sans cesse en action de grâce.
Se mettre au service de la mission de Jésus suppose toujours de consentir à ce que cela dépasse nos possibilités humaines et ne puisse être que l’œuvre de Dieu. Lui seul est Sauveur mais à travers le don que nous lui faisons de notre liberté pour le servir et l’aimer en notre prochain.