Textes liturgiques (année B) : Ex 16, 2-4.12-15 ; Ps 77 (78) ; Ep 4, 17.20-24 ; Jn 6, 24-35
Depuis dimanche dernier et pendant 5 dimanches de suite, nous lisons le chapitre VI de l’évangile selon St Jean qui commence par un miracle. Et quel miracle ! À partir de 5 pains et de 2 poissons, Jésus nourrit une foule nombreuse de 5000 hommes. Mais après ce grand miracle, il doit fuir car il savait qu’ils allaient l’enlever pour faire de lui leur roi. Jésus leur dit clairement qu’ils n’ont pas compris le sens du signe qu’il a posé : « vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés ». Certes, les miracles sont des signes de la puissance de Dieu, mais ils sont au service de son projet afin de nous amener à nous tourner vers Dieu en toute confiance. C’est à cette lumière que l’on doit chercher le sens du signe, et non comment ce signe a pu se réaliser, mais pourquoi il a été posé.
En effet, qu’est-ce qu’un miracle ? C’est un signe destiné à attirer notre attention. Lorsque Moïse, dans le désert, voit le buisson brûler sans se consumer, il détourne son chemin pour aller voir. Et c’est alors qu’il entend Dieu s’adresser à lui. Le miracle est un signe, c’est-à-dire un acte symbolique qui unit une réalité matérielle à une signification spirituelle. Certes, en tant qu’il déroge aux lois naturelles, il est le signe que celui qui l’accomplit a un pouvoir sur ces dernières. Dans son acte créateur, le Seigneur dispose les lois naturelles pour organiser le monde, les miracles qui dérogent à ses lois ne peuvent être qu’exceptionnels. Dans la suite des prophètes, mais bien mieux qu’eux, Jésus intervient pour manifester la puissance de Dieu. Mais les miracles de Jésus ne sont-ils que des signes de sa puissance, des preuves de sa divinité ? Non. Certes, si Jésus est Dieu, il peut certes faire toutes sortes de miracles. Il le dit lui-même à ses adversaires : « Ne puis-je pas faire des pierres que voici des fils d’Abraham ? » Et d’ailleurs, c’est bien ce que le démon lui suggère lorsqu’il vient le tenter au désert. Mais Jésus ne fait pas n’importe quoi, et ne multiplie pas les miracles comme des petits pains. Les miracles de Jésus ont en effet toujours comme finalité de réaliser et servir sa mission. Il opère des guérisons, il ramène des morts à la vie, il nourrit les foules, mais Jésus ne fait pas de miracles absurdes, ni pour susciter l’admiration, et encore moins pour sa propre gloire. Nous le voyons dans le récit des tentations au désert où il refuse de faire des miracles pour lui-même. Il fait des miracles qui ont un sens. Et ce sens, nous le découvrons aisément en parcourant l’évangile. Ses miracles viennent en aide aux hommes : ils restaurent leur santé, leur dignité, leur vie. Les miracles de Jésus sont un témoignage de sa bienveillance pour les hommes. Le miracle est ainsi un signe de la puissance de Jésus et la manifestation de son amour pour les hommes.
Mais est-ce seulement cela ? Si tel est le cas, pourquoi avoir borné son action dans des limites si étroites : quelques années, en un lieu déterminé, et finalement, au bénéfice de si peu de monde ? Beaucoup sont morts en Israël à l’époque de Jésus, et pourtant il n’a rendu la vie qu’à Lazare, au fils de la veuve de Naïm ou à la fille de Jaïre. Beaucoup de gens étaient malades, infirmes, aveugles, et il n’en a guéri qu’une poignée. Et que dire de la suite des temps ? Épidémies, famines, guerres se succèdent depuis des siècles, des milliers de personnes meurent chaque jour tandis que d’autres ne cessent de souffrir. Alors pourquoi Jésus ne s’occupe-t-il pas d’elles ? Cela semble injuste si nous ne voyons en Jésus qu’un simple philanthrope, le SAMU pour toutes nos détresses humaines. Bon et ami des hommes, Jésus l’est, mais pour notre véritable bien, celui qui se garde jusque dans la vie éternelle. Il nous le dit clairement : « Travaillez non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme ».
Par ses miracles, Jésus vient indubitablement répondre à nos attentes : il guérit, nourrit et rend la vie. Mais il vient surtout réaliser le dessein de Dieu sur l’humanité et en exauçant les espoirs de quelques-uns, il vient exhausser l’espérance de tous. Mais l’homme est lent à comprendre. Quand Jésus promet à la Samaritaine l’eau vive, celle-ci lui répond : « Tant mieux, je n’aurai plus besoin de puiser ». Quand Jésus multiplie les pains, la foule veut le faire roi pour être nourrie sans avoir à travailler. Dans ces conditions, fallait-il que Jésus exauçât toutes les demandes ? Non, nous en serions restés à nos espérances purement terrestres, du pain et des jeux.
Nous voici donc arrivés à notre dernière conclusion : les miracles de Jésus sont des signes de sa puissance, ils manifestent sa volonté de faire notre bonheur, mais ils nous invitent surtout à la conversion, à un sursaut, à remonter à la source de tout bonheur, qui est Dieu. « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » En effet, en désirant un bien particulier, que désirons-nous en définitive ? Le bonheur absolu, qu’aucune de ses réalisations limitées ne peut vraiment donner. Jésus veut que nous désirions le Souverain Bien, Dieu lui-même, qui seul peut rassasier notre désir de bonheur. Jésus a de l’ambition pour l’homme, ses miracles en sont le signe. Le pain multiplié aujourd’hui, et qui n’empêchera pas d’avoir faim demain, est le signe de ce Pain de vie que Jésus, sagesse de Dieu, est lui-même. « Amen, amen, je vous le dis : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel. »
Seulement voilà, encore faut-il avoir faim de ce pain-là ! Et pour cela, il ne faut pas être entièrement gavé par l’autre, le pain matériel. Jésus nous a montré la voie : ma nourriture est de faire la volonté de mon Père. Il faut orienter nos désirs vers leur véritable accomplissement. Nos désirs et besoins matériels ne sont que des points de départ pour notre vocation spirituelle, nous devons orienter nos désirs vers le ciel pour qu’ils renaissent plus grands, plus beaux qu’au départ. Il nous faut mourir à nos désirs centrés sur les biens de ce monde pour renaître au désir qui a Dieu pour objet.
Jésus, en accomplissant ses miracles, vient nous révéler que nous sommes faits pour Dieu. La vie qu’il nous donne, c’est la vie éternelle, la guérison qu’il nous procure, c’est le salut éternel, et le Pain dont il nous nourrit, c’est lui-même. Désirons-nous vraiment cela ? Avons-nous faim de Dieu ? De l’eucharistie qui est le pain de la route en ce pèlerinage terrestre ? Oui, un peu certainement, sinon nous ne serions pas là. Mais ce pain ne nous nourrira vraiment, spirituellement, miraculeusement, que si nous nous offrons tout entier. Dieu ne nous sauve pas sans nous. Il a eu besoin de l’offrande spontanée des cinq pains et des deux poissons. « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, celui qui croit en moi n’aura jamais soif » AMEN
Fr. Antoine-Marie Leduc- (Province de Paris)