Textes liturgiques (année B) : Sg 7, 7-11 ; Ps 89 (90) ; He 4, 12-13 ; Mc 10, 17-30 ; Mc 10, 17-27
L’auteur de la Lettre aux Hébreux l’affirme avec force : « Frères, elle est vivante, la Parole de Dieu, énergique » (He 4, 12). Oui, cette parole que nous lisons, que nous proclamons dans nos assemblées dominicales est une parole vivante qui est à l’œuvre dans le cœur des croyants. Cette Parole dévoile à nos regards le dessein de Dieu pour l’humanité : un dessein créateur et sauveur. Cette Parole vient révéler également ce qui, en nous s’oppose, à ce dessein d’amour.
La lecture que nous avons entendue aujourd’hui se conclut par ces mots : « Par une créature n’échappe à ses yeux, tout est nu devant elle, soumis à son regard » (He 4, 13). Quelle surprenante affirmation, la Parole de Dieu a des yeux et nous regarde. Mais, pour nous Chrétiens, la Parole de Dieu, ce n’est pas seulement un livre, un texte écrit, une écriture, la Parole de Dieu c’est Quelqu’un, le Verbe de Dieu, le Christ Jésus. Dans une très belle lettre à sa sœur Céline, la « petite » Thérèse écrivait : « Garder la parole de Jésus, voilà l’unique condition de notre bonheur, la preuve de notre amour pour lui. Mais qu’est-ce donc que cette parole ?… Il me semble que la parole de Jésus, c’est Lui-même… Lui Jésus, le Verbe, la parole de Dieu !… » (LT 165, du 7 juillet 1894).
Avez-vous remarqué, frères et sœurs, que l’évangile de ce jour, nous parle à trois reprises du regard de Jésus ? Du regard du Verbe de Dieu, de la Parole vivante qui s’est faite chair pour notre salut.
Un homme accourt vers Jésus. Il est empressé. Nous-mêmes, ce matin, pour répondre à l’invitation du Christ, nous nous sommes mis en route avec plus ou moins d’empressement et comme l’homme de l’évangile nous sommes au pied de Jésus. Cet homme a le désir de rencontrer Jésus pour avancer dans sa vie spirituelle : « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » (Mc 10, 17).
Dans sa réponse, Jésus le renvoie à la Parole de Dieu, à la Torah : « Tu connais les commandements » (Mc 10, 19).Mais en même temps, Jésus les énonce d’une manière étrange. Vous aurez remarqué qu’il ne cite pas les premiers commandements qui sont tournés vers Dieu. Comme s’il voulait nous signifier que c’est l’amour du prochain qui manifeste notre amour pour Dieu. Cela rejoint l’enseignement de la Madre, Thérèse d’Avila qui disait à ses filles : « À nous, le Seigneur ne demande que deux choses : l’amour de Dieu et l’amour du prochain. C’est vers elles que doivent converger nos efforts. […] Le moyen le plus assuré, selon moi, de savoir si nous observons ces deux préceptes, c’est de voir quelle est notre perfection relativement à l’amour du prochain. […] Soyez-en certaines, autant vous aurez fait de progrès dans l’amour du prochain, autant vous en aurez fait dans l’amour de Dieu » (Ve D 3, 8).
Dans les commandements tournés vers le prochain, Jésus en ajoute un qui n’était pas dans la liste du décalogue, des dix paroles de l’Exode : « Ne fait de tort à personne » (Mc 10, 19) ; comme si cette parole venait résumer, récapituler celles qui la précèdent.
La réponse de l’homme est toute simple : « Tout cela, je l’ai observé dès ma jeunesse » (Mc 10, 20). Cet homme, dont on apprendra bientôt qu’il avait de grands biens, est un écoutant de la Parole. Non seulement il l’écoute, mais il la met en pratique. Jésus le regarde. Un regard qui pénètre au plus intime de l’être, un regard qui perce « les intentions et les pensées du cœur » (He 4, 13). Et ce regard est un regard d’amour. Et c’est parce que ce regard est un regard d’amour qu’il peut être exigeant et inviter à tout laisser pour suivre Jésus : « Une seule chose te manque ; va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres. […] Puis viens et suis-moi » (Mc 10, 21). Jésus invite sans cesse à marcher à sa suite, mais pour cela, il demande que nous nous désencombrions… L’homme devint sombre à cet appel et « s’en alla tout triste » (Mc 10, 22).
Le regard de Jésus se pose alors sur tous ceux qui ont assisté à cette scène et il parle de la difficulté pour ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu. Les richesses, ce ne sont pas seulement les espèces sonnantes et trébuchantes. Nous pouvons être riches de bien des manières : richesses relationnelles, richesses affectives, richesses spirituelles… et la liste peut être allongée à l’infini… Quelle que soit notre type de richesse, si nous avons les « mains » crispées dessus, elle sera un obstacle pour notre entrée dans le royaume. La suite de Jésus exige un détachement. Pour s’attacher à Jésus, il faut se détacher du reste, de tout le reste… Il faut avoir « les mains vides » dirait la « petite Thérèse ».
Voilà un enseignement qui nous déconcerte comme il a déconcerté les disciples qui se demandent entre eux : « Mais alors qui peut être sauvé ? » (Mc 10, 26).
À nouveau, Jésus pose son regard sur eux et affirme : « Pour les hommes c’est impossible, mais par pour Dieu ; car tout est possible à Dieu » (Mc 10, 27). Le salut, l’entrée dans le royaume ne se gagne pas à la force des poignets ; c’est un don gratuit qu’il nous faut accueillir dans l’émerveillement et la louange.
Nous ne mériterons jamais notre salut. Dieu nous sauve, c’est-à-dire, Dieu nous fait vivre de sa vie, par un amour gratuit, indépendant de nos mérites, de nos qualités, de nos défauts, de nos plaies intérieures et extérieures. Et c’est bien là, ce qui est difficile pour nous : accueillir ce don gratuit. Cela suppose un chemin d’humilité, de dépouillement, de disponibilité… Se tenir les mains vides pour recevoir ce don.
Ce matin, frères et sœurs, accueillons le regard d’amour que le Christ Jésus pose sur chacun et chacune d’entre nous de manière particulière et personnelle. Nous pouvons dire avec la « petite » Thérèse : « Ton seul regard fait ma béatitude » (PN 17, 3). ou encore « Tu me suis d’un regard d’amour, toujours » (PN 18, 50). « Le regard de mon Dieu […] voilà mon ciel à moi » (PN 32, 1).
Se tenir, silencieusement sous le regard du Christ, le laisser pénétrer au plus intime de notre être ; le laisser nous aimer tel que nous sommes, dans notre réalité charnelle et spirituelle… C’est cela le mystère de l’oraison… Se laisser regarder par le Christ.
Accueillir ce regard, c’est laisser le Christ Jésus nous appeler à sa suite. Dans une poésie, Thérèse chante : « Ton doux regard m’appelle » (PN 42, 1). Et c’est son amour qui nous donnera la force de répondre à son appel ; C’est son regard d’amour qui nous aidera à tout laisser pour le suivre.
Nous connaîtrons alors la joie véritable de l’Évangile et nous pourrons en être témoin au cœur de notre monde. Laissons-nous regarder par le Christ. Laissons-nous aimer. Laissons-nous appeler.
Amen.
Fr. Didier-Marie Golay, ocd - Couvent de Paris