Textes liturgiques (année B) : 1 Ch 15, 3-4.15-16 ; 16, 1-2 ; Ps 131 ; Lc 11, 27-28 ; JAp 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab ; Lc 1, 39-56
Ce n’est pas Marie seule que nous contemplons, comme sur un piédestal, loin de nous, de notre histoire, comme un monument dans un musée. On passe, on le regarde et puis l’on s’en va, avec une émotion dans le cœur, un peu d’admiration, voire une larme parce que quelque chose en nous a été touché, mais c’est à distance. Et puis la vie reprend vite son cours, cela ne pénètre pas en nous.
Pensez, l’immaculée, la Reine du Ciel ! Il y a elle et puis nous, bien loin. Non ce que l’on célèbre aujourd’hui c’est notre aventure fondamentale, c’est l’exaltation de nos aspirations les plus profondes. En Marie la promesse qui nous est faite de la vie éternelle s’actualise. Le corps de Marie est monté au ciel, il a été transfiguré, comme nous-mêmes le serons à la résurrection finale.
Voilà la victoire de l’Amour en ce corps d’eau et de poussière.
Comment accueillons-nous cette promesse ? L’amour a fait un tel travail en Marie qu’il a tout consumé, y compris la mort, y compris la chair. La vie de Marie n’a pas été comme un fleuve tranquille. L’accueil de Jésus en son sein, la relation à Joseph, l’éducation de Jésus qui n’avertit pas lorsqu’il reste au Temple, ses parents angoissés de l’absence. Trois jours difficiles. Les tentations de Jésus au désert, et pourquoi n’aurait-elle pas été aussi tentée ?! La suite de Jésus qui commence à faire parler de lui, qui sort du cadre normal de la famille, l’arrestation, la passion, la mort, et puis non tout n’est pas fini, la vie divine fait son œuvre en Jésus, la mort est vaincue !
Tout cela Marie l’a vécu dans sa chair, dans son cœur avec ses joies et ses angoisses. La seule chose qui nous différencie d’elle c’est qu’elle est unie à la volonté de Dieu. Mais cette union n’épargne pas sa sensibilité, ne la rend pas infaillible dans sa vocation de mère et d’épouse. Elle est au combien humaine avec toute sa fragilité, sa vulnérabilité. Assumer notre vulnérabilité aujourd’hui au travail, en famille, avec les amis, pensez donc ! Or pour accueillir l’amour, il faut devenir vulnérable.
Comme Marie, nous ne sommes pas faits pour vivre tranquilles sur terre, mais pour nous laisser transformer plus ou moins vite par l’amour. Il n’y a pas de répit pour un cœur qui aime, qui se laisse aimer et qui se donne.
Elle s’est laissée rejoindre par l’Amour à la Visitation de l’ange, elle s’est laissée aimer et l’amour de Dieu est un vrai feu. Elle n’a pas eu peur de l’amour, même si tous les repères sont bouleversés lorsqu’il entre dans le cœur. Pour beaucoup d’entre nous, il n’est pas facile de se laisser aimer gratuitement. Et la tendresse partagée avec Joseph et surtout avec son fils n’a peut-être pas toujours été facile à accueillir. Et Jésus n’a pas non plus toujours été tendre avec Marie, ni avec Joseph, car c’est un amour libre qui se creuse, loin de toute captation, possession. Nous, nous voulons posséder, chosifier l’amour… Il n’est pas facile de se donner, de penser autant à l’autre qu’à soi. Il n’est pas facile d’assumer le quotidien dans un corps parfois chancelant, souffrant. Il n’est pas facile de pardonner à l’autre le mal qu’il nous a fait. Tout cela Marie l’a traversé, en son quotidien le plus banal. Car qu’a-t-elle vécu que l’on ne puisse vivre du repas à préparer, de l’eau à aller chercher, jusqu’à l’absurde qui parfois traverse nos vies, jusqu’au mal que l’autre nous inflige et que l’on ne comprend pas, jusqu’à l’enfant innocent que la vie quitte parce qu’il a été trop battu. Hélas tout cela peut faire ou avoir fait partie de notre quotidien… Mais l’amour a été victorieux en Marie en tous ces combats. C’est la victoire de l’amour dans le cœur et le corps de Marie qui a surgi de l’intérieur de son être et a tout consumé. Les saints du Carmel nous le disent : il nous faut nous exercer à aimer, à ouvrir un espace en nous pour l’amour.
Il nous est plus facile de passer notre temps à faire que notre corps soit beau, à l’entretenir, à le sculpter et nous en oublions que notre propre beauté vient du dedans, de cet espace en nous fait pour la vie, la lumière, l’amour, la vérité. Cependant le plus difficile est peut-être de se faire petit, humble, de ne pas tourner autour de son nombril. Sur ce chemin de notre sanctification, l’essentiel appartient à Dieu, car il est vivant en nous. « le puissant fit pour moi des merveilles, saint est son nom ». Il faut lui laisser la place et faire taire notre amour propre. Cela est difficile !
La fête de l’Assomption est un appel pour nous à nous réveiller, un appel à laisser l’amour de Dieu entrer en notre cœur, nous sauver de nous-mêmes.
Notre vie n’est pas vaine, notre quotidien n’est pas vain s’il peut s’ouvrir à l’amour. Marie nous a précédés sur ce chemin, elle est là avec son corps qui nous attend, qui intercède pour nous. L’Assomption pointe du doigt notre destinée, nous trace un chemin dans le quotidien et les soucis afin de ne pas nous laisser submerger, anesthésiés.
Fr. Yannick Bonhomme - (Couvent d’Avon)