Textes liturgiques (année B) : Gn 2, 18-24 ; Ps 127 (128) ; He 2, 9-11 ; Mc 10, 2-16
Le texte parle du mariage. Il y a dans l’assemblée des divorcés, des célibataires qui ne trouvent pas de conjoint, des célibataires qui font aussi le choix du célibat pour Dieu. Il n’y a pas à culpabiliser sa condition, mais à l’assumer, mais à vivre au sein même de cette solitude l’appel à s’unir à Dieu en Jésus. Dieu reste présent à tous et ouvre l’espace de cette solitude. À chacun son chemin pour entrer dans cette dynamique de l’Amour… Revenons au texte.
Attention à la nature du texte ! Ce n’est pas un texte scientifique, mais théologique. Il en va donc de sa nature et de la façon de le lire. Jésus n’en reste pas aux prescriptions, ce qui est permis ou non, il renvoie à l’origine, à Dieu pour éclairer le sens du couple, du mariage. Car la vie en couple a un sens qui le précède. Oui, s’il y a mariage, c’est que quelque chose s’est passé entre un homme et une femme, une attirance qui les amène à s’unir pour la vie. C’est le propos de la Bible. Mais dans cette dynamique, s’il y a un minimum d’amour qui pousse le couple à s’unir, c’est pour que l’un et l’autre apprennent à s’aimer. Si bien que le véritable amour est plus devant que derrière. Dans cette aventure, Dieu ne doit pas être oublié, car il est la visée de tout chrétien. Il y a un horizon pour le couple, c’est de rencontrer Dieu qui est amour au cœur de leur union.
Cela suppose un déplacement de chacun pour rencontrer l’autre véritablement, et donc un travail sur soi. Sur chacun… Au début il y l’amour du conjoint, mais qui est souvent centré sur soi, pour soi. Il n’est pas encore très purifié. Puis vient après quelques années, une traversée normale de la solitude. C’est que chez l’un et l’autre il y a des limites qui sont apparues. Il y alors comme à le "rechoisir". Non pour ce qu’il m’apporte, mais pour ce que je peux lui apporter malgré les différences. Il y a un décentrement. Et cela doit être réciproque, sinon il n’y a plus deux, mais deux unités qui finiront après de grandes souffrances par se séparer. C’est autour de cela que nous amène Jésus en nous renvoyant à l’origine, en nous rappelant pourquoi les couples sont faits, être image de Dieu. C’est bien plus que d’avoir des enfants. Il utilise pour cela deux versets différents de la Genèse. L’un est tiré du chapitre premier : « Mais, au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme. » ; l’autre au chapitre 2 « À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. »
Une dynamique s’ouvre pour lui, non pas de recoller les morceaux, mais d’ouvrir une relation dans la différence que manifeste la sexualité.Il souligne ainsi la différence sexuelle, l’homme, la femme, puis il rappelle qu’il y a séparation de l’homme avec sa famille pour s’unir à la femme. Il lui est demandé de quitter ses origines pour ouvrir un nouvel espace sous le regard de Dieu. Gros labeur parfois tant les liens familiaux sont profonds, tant l’accueil de la différence sexuelle peut aussi prendre du temps. Il y a une mystique du couple, une grande profondeur à découvrir.
Nous sommes invités avec Jésus à relire ces textes. Ils ne manquent pas de surprises ! Si nous lisons le texte naïvement, l’auteur, lui, ne l’est pas ! Il est dit que l’homme quittera son père et sa mère, mais qui est le père ou la mère d’Adam ?! comme si le texte prenait une tournure intemporelle, et qu’il s’actualisait à chaque génération. Et puis une autre surprise, le texte parle de la découverte par l’homme, au prix d’une séparation de lui-même avec lui-même, du don que Dieu lui fait. L’homme trouvera son « soutien-comme-un-vis-à-vis » dans la femme, il y a une égalité de l’un à l’autre à accueillir. Encore : pour qu’il y ait effectivement deux personnes, il faut qu’il y ait une parole échangée, dans les deux sens. La femme reste muette. "Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! Celle-ci sera appelée "femme" ! Pas de réponse de la femme… Ce silence est lourd, comme une interpellation. Le couple est en chemin et la suite du texte montrera qu’il sera long.
Et puis dans cette jubilation d’Adam, Dieu semble avoir disparu. Il n’y a pas d’action de grâce. Merci, Seigneur, de m’avoir fait découvrir l’aide que j’attendais ! L’homme semble hypnotisé ! Son regard s’est réduit. Ce qui va manquer à ce couple, c’est le commandement premier de ne pas se prendre pour Dieu (ne pas manger le l’arbre de la connaissance du bien et du mal). Dieu doit rester au centre, présider à l’avènement du couple dans le don qu’il fait de la femme à l’homme. Le couple n’a pas sa finalité en lui-même, mais dans l’ouverture de l’un et de l’autre à Celui qui est l’origine et le but de leur vie. Dieu ne fait pas nombre, il est au cœur de l’amour, il est l’amour. C’est donc dans la prière que le couple va se ressourcer en profondeur. C’est cet amour reçu qui va pouvoir se partager dans l’intime du couple et lui permettre de grandir à l’infini. Le couple aussi se reçoit de l’union à Dieu.
Pour reprendre tout cela… Il y a quelque chose qui n’est pas achevé pour qu’il y ait une pleine relation entre eux deux. Car l’aventure du couple naît bien d’une séparation d’avec la famille, mais aussi de la différenciation qui aboutit à l’homme et la femme. Et ce n’est pas facile non plus parfois d’accepter, de vivre son humanité ou sa féminité. Le couple naît de la différence qui permet non la fusion, mais l’union.
C’est la qualité de la parole échangée qui construit cette union, qui permet d’accueillir l’autre comme tout autre. C’est la découverte de l’amour qui est amené à s’intérioriser dans le cœur de l’un et de l’autre, une présence au cœur de chacun qui pointe vers l’infini, Dieu. C’est l’ouverture à l’intime, à un autre espace en soi où l’autre peut prendre place. C’est le défaut de parole qui fait que le couple ne pourra découvrir cette dimension du cœur profond. Jésus, dans la citation, en rappelant l’importance du couple, ouvre notre lecture jusqu’à ce niveau-là.
Fr. Yannick Bonhomme, ocd - Couvent d’Avon