Textes liturgiques (année B) : Is 50, 5-9a ; Ps 33 (34) ; Ep 4, 30 – 5, 2 ; Jn 6, 41-51
Frères et sœurs, le passage d’évangile entendu ce dimanche est extrêmement important. Dans l’évangile de Marc que nous lisons plus particulièrement en cette année liturgique, il constitue le moment charnière de la vie publique de Jésus ; et les évangélistes Matthieu et Luc garderont cette même présentation de la prédication de Jésus. Ce passage de la confession de foi de Pierre découpe en deux le ministère de Jésus et il est important de comprendre pourquoi. Mais cette compréhension de l’évangile de Marc ne relève pas seulement de la culture biblique ; elle a des incidences décisives pour notre propre vie spirituelle et il faudra le souligner dans un deuxième temps.
« Pour vous, qui suis-je ? » Cette question de Jésus adressée pour la 1re fois aux disciples a dû les embarrasser. Faut-il y répondre avec les mots des gens évoquant les figures passées de Jean le Baptiste, Elie ou un prophète ? Pierre tranche et s’engage en affirmant que Jésus est le Christ, le Messie promis par Dieu. C’est la 1re fois qu’un être de chair fait une telle confession ; aussi cette affirmation apparaît-elle comme un couronnement de tout ce qui précède. Jésus a eu un succès considérable : d’une part, il parle avec une autorité impressionnante, fort différente de celle des scribes et les foules aiment l’écouter ; d’autre part, sa parole agit et il ne cesse de guérir et de libérer du mal. Il n’est donc pas qu’un brillant rabbi et un thaumaturge stupéfiant : il est l’envoyé de Dieu attendu par Israël. Le dévoilement de son identité par Pierre constitue donc un sommet. Nous sommes en plein milieu de l’évangile et pourrions imaginer dès lors le triomphe du messie entrant à Jérusalem et chassant l’occupant romain. C’est probablement ce qu’attendaient Pierre et les autres. Or au moment du triomphe annoncé, voici que le désigné Messie annonce que sa trajectoire sera tout autre ; il parle de souffrance, rejet des autorités, mort et résurrection. A-t-il perdu la tête ? Qu’est-ce que c’est que ce messie qui n’impose pas la loi de Dieu ? Et en plus il parle ouvertement et sans trembler ! Veut-il faire fuir tous ses disciples au moment où ceux-ci se prêtent à rêver de gloire et d’honneur ? Pierre pense qu’il est de sa responsabilité de dire quelque chose puisqu’il sait maintenant qui est Jésus. Il agit avec discrétion et explique à ce jeune Christ qu’il s’est trompé de scenario. Dans l’Écriture, il est annoncé que le Messie écrasera les ennemis d’Israël et règnera pour toujours ! Pourtant ce n’est visiblement pas tout à fait l’idée de Jésus qui remet Pierre en place devant les autres ; Pierre est appelé Satan, celui qui a cherché au désert à détourner Jésus de son chemin. Pierre, malgré sa bonne volonté, est en train d’inverser les rôles en expliquant à son Maître quel est le chemin de Dieu pour lui, un chemin d’honneur et non un chemin d’abaissement. Mais Jésus connaît la prophétie du serviteur souffrant, entendue dans la 1re lecture ; le chemin que lui ouvre son Père est un chemin de service, d’amour et de salut. Ce chemin est fort différent de ce qui plaît spontanément aux hommes, intéressés surtout par le plaisir et la gloire. Aussi le Christ va jusqu’au bout ; il appelle la foule et précise le prix à payer pour devenir son disciple : renoncer à soi-même jusqu’à perdre sa vie ! Coup de tonnerre pour ceux qui étaient intéressés par l’homme aux miracles et aux belles paroles ! Quelle déception : est-ce que cela vaut encore le coup de le suivre ? Ne vaut-il pas mieux changer de religion ?
Frères et sœurs, ce moment charnière de l’évangile ne concerne pas que Pierre et les disciples, nous y sommes tous confrontés dans nos vies. En effet, l’évangéliste Marc nous décrit au fond la manière dont Dieu s’y prend avec chacun de nous. Au début de notre vie chrétienne, le Seigneur nous attire par ce qui est plaisant et consolant : des émotions, des signes, des élans, etc. Et nous en sommes fort satisfaits et nous nous engageons avec ferveur. Puis vient le moment de la croix qui prend des formes bien différentes dans nos vies. Et c’est la consternation : ce n’est pas le chemin que nous aurions pensé pour nous ! Pourquoi faut-il passer par là ? Comme Pierre, nous expliquons au Seigneur qu’il se trompe et qu’il doit agir. Mais le Seigneur nous répond comme à Pierre : « Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » Car notre difficulté, c’est que nous pensons sincèrement savoir quel est le bon chemin pour nous. Nous voulons être saints et nous avançons sur une ligne droite bien tracée. Cependant, la vie vient déjouer cette trajectoire et nous décontenance. Nous avions oublié que nous sommes des disciples et que seul le Maître connaît le juste chemin. On nous avait bien dit que nous sommes pécheurs mais cette information ne nous semblait pas essentielle dans la conduite de nos vies. Quelle méprise !
Nous y voilà pourtant : Jésus, le Christ est venu nous sauver. Et le chemin du salut qui est aussi celui de la sainteté, nous ne le connaissons pas. Il n’est pas une voie de développement personnel ; il est un itinéraire divin qui déjoue toutes les prévisions. Marcher à la suite de Jésus vers la sainteté, c’est se défier de ses idées et de ses peurs ; c’est choisir d’avoir Jésus comme seul appui et seule sécurité. Lui sait, moi non. Seule la foi inébranlable en ce Fils de Dieu me conduira certainement au bout du chemin.
Alors, frères et sœurs, que devons-nous demander à Dieu ? Peut-être reprendre et méditer la très belle oraison liturgique qui sera dite après la communion : « Que la force agissante de ce don divin, nous t’en prions, Seigneur, saisisse nos esprits et nos corps, afin que son influence, et non pas notre sentiment, prédomine toujours en nous. » Oui que l’influence de l’amour divin l’emporte en nos cœurs sur nos sentiments volatiles. Et que nous allions ainsi très loin dans les chemins de Dieu. Amen
Fr. Jean-Alexandre de l’Agneau , ocd - Couvent d’Avon