Le chemin des béatitudes (Ho Toussaint)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année B) : Ap 7, 2-4.9-14 ; Ps 23 (24) ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a

Frères et Sœurs, l’amour du Christ ne connaît pas de frontières. Son Cœur ouvert à tous rejoint chacun dans sa quête de bonheur. Les béatitudes excluent en effet toute exigence morale ou toute référence religieuse. Il n’y a pas besoin d’être juif ou chrétien pour être humble, doux, affligé, assoiffé de justice, miséricordieux, pur de cœur, artisan de paix. Henri Bergson, philosophe non-chrétien, a établi une distinction entre la morale fermée constitutive d’un groupe sociologique ou religieux déterminé et la morale ouverte appelant à une justice, voire à une charité universelle. Il a considéré que les béatitudes évangéliques étaient l’exemple par excellence d’une morale ouverte. Non seulement cette morale ne définit pas un groupe sociologique ou une identité spécifique, mais elle ouvre à la communion par-delà toute barrière ethnique, sociale, religieuse ou idéologique. Elle demande à être vécue par tous et en faveur de tous. Les règles morales ont pour conséquence habituelle de faire apparaître une discrimination vis-à-vis de celles et ceux qui ne s’y conforment pas, qui sont des transgresseurs au regard de la loi. La morale proprement évangélique transcende toute morale en ce qu’elle appelle à vivre une ouverture à l’autre qui dépasse le jugement moral. Le Royaume de Dieu est ainsi la promesse d’une communion à laquelle tous les hommes puissent participer aussi bien comme acteurs que comme bénéficiaires.

La première béatitude sur la pauvreté de cœur fait entrer dès à présent dans cette réalité du Royaume. Être pauvre de cœur, c’est en effet recevoir sa vie de Dieu comme un don immérité. Cette pauvreté spirituelle correspond à la nature filiale de notre existence : être fils ou fille, c’est recevoir sa vie d’un autre. Jésus, le Fils unique et Bien-aimé, sait par expérience ce que c’est que de se recevoir d’un Amour absolu, gratuit et inconditionnel. Le Christ a vécu ces béatitudes en recevant sa vie de Dieu et en se donnant lui-même aux autres. Il nous ouvre ainsi le chemin de la confiance filiale qui permet de vivre les béatitudes, car tout est possible à quiconque s’en remet à l’amour d’un Père. Oui, heureux les pauvres de cœur, car ils vivent de cet amour du Christ, lui le pauvre par excellence, entièrement ouvert au don de Dieu et totalement disponible aux hommes. Il est alors possible de vivre cet amour au sein même des persécutions au point que la dernière béatitude est associée comme la première à la possession actuelle du Royaume des cieux. Pouvoir risquer sa vie au nom de la justice ou de la foi manifeste alors la puissance de Dieu agissant dans la faiblesse de l’homme.

Cet enseignement du Christ coule comme une source de son Cœur brûlant d’amour. Avec un cœur d’homme, Jésus a aimé d’un amour proprement divin, de cet amour incommensurable du Père qui fait de nous ses enfants (cf. 1 Jn 3,1). Si l’exigence des béatitudes peut sembler extrême, cette exigence n’est autre que celle d’une confiance sans limite envers Dieu, source de tout amour. En cet amour, Jésus a versé son sang dans lequel les martyres ont lavé leurs vêtements (cf. Ap 7,14), ce sang qui a coulé avec de l’eau de son Cœur transpercé sur la Croix. Ces symboles du sang et de l’eau manifestent que la mort de Jésus nous communique la vie, une vie éternelle destinée à tous. Le baptême nous plonge dans cette mort pour que nous vivions de sa vie, tandis que l’Eucharistie nous donne de nous offrir avec lui pour la vie du monde. De son Cœur transpercé jaillit en effet la source qui irrigue et le ciel et la terre et réalise dès à présent la communion de tous les Saints. Par la célébration eucharistique, il nous est donné, Frères et Sœurs, de boire à cette source afin de participer dans le Christ à cette communion de l’Église du ciel et de la terre. Dans une culture individualiste qui génère la solitude, Jésus nous appelle à vivre aujourd’hui dans cette communion de tous les Saints pour que l’Église soit le signe vivant de cette famille de Dieu ouverte à tous les hommes. Appelés nous-mêmes à la sainteté, nous célébrons déjà dans cette communion la victoire définitive de l’amour en une multitude anonyme de pauvres qui ont remis leur vie à Dieu. Communions, Frères et Sœurs, à leur joie dans cet amour du Christ qui est ouverture du cœur et don de soi. Accueillons dès à présent cette joie du Royaume qui nous est donnée à vivre dans l’esprit des béatitudes.

Fr. Olivier-Marie Rousseau, ocd - (couvent d’Avon)
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