Notre-Dame du Mont Carmel - 16/07/22

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année B) : Mi 2, 1-5 ; Ps 9 B (10) ; Mt 12, 14-21

Notre Dame du Mont Carmel, Notre Dame des origines de l’Ordre du Carmel, Notre Dame des Frères du Mont Carmel, ces pèlerins qui choisirent de demeurer en étrangers sur la terre de Jésus au temps des croisades. Chassés ensuite par la guerre et dispersés dans toute l’Europe, ils ne cessent pas d’être les Frères de la Vierge Marie. Ils ont comme embarqué avec eux Marie du Mont Carmel, cette Vierge orientale qu’ils avaient promis de servir et d’honorer. Ils l’ont retrouvée en terre d’Occident sous le signe du scapulaire. Le vêtement de Marie est devenu leur marque d’appartenance, leur lien de communion. Ils ont ainsi obtenu de l’Église la reconnaissance du patronage de Marie sur leur famille religieuse, une étrange famille sans fondateur connu. Du fait de cette origine obscure, l’existence de l’Ordre fut menacée tout au long du 13e siècle jusqu’à ce que fut reconnue leur consécration à Marie. Notre Dame du Mont Carmel se tient ainsi au seuil de passages risqués, aux confins de frontières abruptes comme ce Mont Carmel surplombant la mer entre terre et ciel au pays de la promesse. Or, le passage par excellence, c’est celui qui conduit de la mort à la vie. Aussi, le port du scapulaire est-il lié à ce passage. Marie du Mont Carmel a pour mission de se tenir debout face à la mort pour indiquer le chemin de la Vie. Depuis cet humble nuage annonçant au prophète Elie la fin d’une sécheresse mortelle jusqu’à cette femme recevant les dernières paroles de son Fils en Croix, elle est signe et promesse de Vie à l’heure de la mort.

Jésus nous la donne en effet pour Mère, frères et sœurs, sur le chemin de la vie éternelle ; la suite de l’Évangile de ce jour montre combien l’accomplissement de cette dernière volonté de Jésus est essentiel à la mystérieuse fécondité de sa mort. La mort de Jésus est une mort paradoxale, car c’est une mort libre, traversée de part en part par la liberté de l’Amour qui l’unit à son Père. Ainsi, après sa mort, la vie jaillit-elle de son côté transpercé sous le signe de l’eau et du sang. Le corps de celui qui a librement incliné la tête et remis activement son esprit au Père est source de Vie avant même qu’il ne soit ressuscité. Cette mort vivante en quelque sorte est une mort transfigurée par l’offrande que le Fils fait de lui-même à son Père dans l’Esprit. Il meurt après avoir confié à Marie une mission maternelle vis-à-vis du disciple bien-aimé : « Femme, voici ton Fils ! » Il déclare alors avoir tout accompli. Mais comment Marie aurait-elle pu correspondre à une telle mission sans une révélation de Dieu ?

Après que Jésus ait crié à Dieu sa soif pour le salut de tous les hommes, Marie debout près de la Croix, a reçu dans la foi l’Esprit que Jésus remit en mourant entre les mains du Père. C’est en effet au calvaire qu’a lieu la première Pentecôte dans l’Évangile selon Saint Jean. A l’ombre de l’Esprit qui l’avait déjà investie au jour de l’Annonciation, elle a pu ainsi recevoir, dans le silence de la mort, la Révélation de l’Amour. Le prophète Élie avait fait l’expérience de Dieu, non pas dans l’ouragan, le tremblement de terre ou le feu, mais à l’écoute d’un murmure de fin silence. De même Marie rencontre-t-elle Dieu dans la foi, non pas à travers le déferlement de la violence, l’écartèlement de la Croix ou le cri brûlant de soif, mais en recevant l’Esprit que le Fils remet à Dieu dans un silence, qui transcende la mort. Dans l’Esprit Saint, elle accueille la Parole de la Croix comme promesse de salut. Elle accède ainsi la première à la foi de l’Église en la Vie plus forte que la mort, en l’Amour victorieux de la haine, en la Miséricorde consumant tout péché. La Parole de la Croix ainsi gravée en son Cœur par l’Esprit dans le silence du Fils abandonné au Père, Marie peut renouveler son fiat face à un avenir plus que jamais inconcevable. Elle devient ainsi la mère de tout disciple obéissant lui-même à la parole de Jésus : « Voici ta mère. » Ayant inscrit son propre fiat en celui de Marie, le disciple bien-aimé reçoit à son tour l’intelligence de la Parole de la Croix. A la vue du sang et de l’eau qui s’écoulent du côté transpercé de Jésus, il contemple avec Marie la source de la Vie.

Notre Dame du Mont Carmel a ainsi pour mission de faire de nous, frères et sœurs, des disciples bien-aimés capables de discerner l’œuvre du salut à l’heure de la Croix. Vivre sous le patronage de Notre Dame du Mont Carmel, l’accueillir chez soi, c’est consentir à cette mission, celle de se tenir debout en tout lieu de passage, au seuil de toute mort, là où plus rien n’est possible, sinon la Vie venue de Dieu. La mission du Carmel n’est pas de transformer le monde, mais de reconnaître dans la foi l’œuvre que Dieu accomplit jusque dans la mort. Selon l’admirable affirmation de Jean de la Croix, Jésus n’a pas sauvé le monde par ses miracles ou son annonce du Royaume, mais en donnant librement sa vie par amour dans une totale impuissance humaine. Accueillir ainsi Marie chez soi, c’est se tenir avec elle au pied de cet anéantissement du Verbe en notre chair mortelle ; c’est assumer dans la prière l’impuissance des hommes à se sauver eux-mêmes pour les porter en ce monde dans la lumière de l’Amour. Notre-Dame du Mont Carmel nous appelle ainsi à discerner la vie en toute mort, le pardon en tout péché, la réconciliation en toute division, la gloire en toute blessure. Dans la paix reçue de l’Esprit et dans le silence de l’Amour crucifié, qu’elle nous obtienne la grâce de prier pour ce monde avec une absolue confiance : « Abba, Père ! ».

Fr. Olivier-Marie Rousseau, ocd - (couvent d’Avon)
Revenir en haut