Homélie Notre-Dame du Mont Carmel 16 juillet 2023

Textes liturgiques : 1R 18,42-45 ; Ps 14 ; Ga 4,4-7 ; Jn 19,25-27

Célébrer solennellement la fête de la bienheureuse Vierge Marie du Mont Carmel est toujours un moment émouvant pour ceux et celles qui reconnaissent en elle leur patronne. Cette célébration nous replonge en effet dans l’histoire et dans les origines assez singulières des frères du Mont Carmel.

Au début du XIII° siècle, ces ermites latins choisissent de donner à leur église la titulature de Notre-Dame et donc de se placer sous la protection de la Vierge Marie qui sera désormais leur souveraine. Nous sommes ici dans le contexte médiéval où l’individu n’est pas indépendant mais doit se choisir un souverain, un suzerain à servir et qui en retour le protégera des dangers de la vie. Voilà donc ce qui émerge progressivement dans la conscience de ces hommes : ils souhaitent apprendre à vivre dans la dépendance de Jésus-Christ et le servir fidèlement et pour cette visée, choisissent sa mère, la Vierge Marie comme la belle Dame qui sera la garante de ce pacte. Car il s’agit bien d’un pacte, d’une alliance avec deux libertés et une réciprocité : le service d’un côté, la protection de l’autre. Tel était le désir et l’engagement de ces hommes. Mais qu’en pensait Notre-Dame ? Allait-elle répondre à ce propos de vie ? La suite de l’histoire allait donner la réponse et elle fut doublement concrète. La 1re réponse est simplement que nous sommes toujours là ! L’Ordre du Carmel n’a peut-être pas les promesses de la vie éternelle mais il a déjà traversé 8 siècles malgré des commencements difficiles. Au XIII° siècle, les frères du Mont Carmel auraient dû logiquement disparaître comme la quasi-totalité des communautés nouvelles de l’époque mais l’Eglise en décida autrement ; elle intégra cette jeune communauté aux ordres mendiants représentés par les franciscains et les dominicains.

Notre-Dame ne s’était donc pas jouée de ces fils, elle avait pris au sérieux la demande des frères et avait protégé son troupeau. C’est d’ailleurs, selon la tradition, ce que lui demandait St Simon Stock dans la prière Flos carmeli que nous avons entendu comme séquence : « Fleur du Carmel, sois favorable aux carmes. » Et la Vierge Marie qui est une femme concrète a donné une 2e réponse, un signe matériel qui deviendrait le rappel de son engagement et de celui des carmes : un scapulaire. Rien pourtant d’original dans ce vêtement qui faisait partie de l’habit monastique comme un tablier protecteur. Mais le signe était puissant dans sa simplicité : il signifiait à la fois la protection et le service. Marie comme patronne et souveraine matérialise sa protection à travers un vêtement protecteur ; telle une mère, elle habille ses enfants en les protégeant des intempéries et des dangers.

Le scapulaire va ainsi devenir une arme spirituelle comme la séquence l’a bien rappelé : « Armure robuste des combattants, quand les guerres font rage, étends sur nous la protection du scapulaire. » Le scapulaire est donc ce vêtement qui renvoie au Christ revêtu lors du baptême et qui nous invite à mener le bon combat spirituel. Il n’est pas un vêtement qui nous ferait échapper aux épreuves et à la souffrance. Nous nous plaçons en effet sous la protection de celle qui s’est tenue debout au pied de la Croix. Devenir enfant de Marie ce n’est donc pas choisir une vie confortable et sans souci. C’est avec elle prendre notre place dans l’Eglise par la prière et le service. La protection reçue est contre le péché et le mal, non contre la souffrance ; nous sommes armés pour ne pas prendre de mauvais coups de l’Adversaire. Le scapulaire protège en fait notre force intérieure ; il nous aide à persévérer dans les épreuves et à ne pas nous décourager. Il nous permet, comme dit sainte Thérèse de Jésus, de porter haut l’étendard de l’humilité qui maintient l’espérance dans l’Eglise. Porter le scapulaire de Marie, c’est rester avec elle debout au pied de la Croix quand la plupart ont fui, effrayés par la situation désastreuse et les dangers. N’est-ce pas là un appel pour notre temps ? Quand le monde sombre de plus en plus dans la violence, quand l’Eglise se déchire et se vide de sens enfants, avec le scapulaire, notre mission est de nous tenir debout devant Dieu et le Crucifié, avec Marie, certains de la résurrection à venir.

Tel est le service en retour symbolisé par le scapulaire : il est notre engagement à répondre à la force reçue de la grâce. C’est Notre-Dame qui nous couvre et nous protège pour qu’avec elle nous assurions notre service de l’Eglise et du monde par la prière, la vie fraternelle et l’apostolat. Aussi nous pouvons demander à Marie, avec les mots de la séquence : « Supporte que je sois là à tes côtés, moi, ton serviteur. » Accepte Vierge bénie d’avoir à tes côtés tes enfants pécheurs pour qu’ils travaillent avec toi au salut gagné par ton Fils en croix.

Frères et sœurs, le scapulaire est donc bien ce signe marial conjuguant protection et service dans la grâce du Christ. Il n’y a rien de magique ni d’automatique : c’est l’œuvre de la grâce qui se déploie dans ce que l’Eglise a reconnu comme un sacramental que tout fidèle peut demander à recevoir. Les siècles ont passé. Les XIII° et XIV° siècles ont connu bien des drames avec la Grande Peste, la Guerre de Cent ans ou le schisme d’occident. Notre époque en connaît bien d’autres mais la mission du Carmel demeure la même : maintenir haut l’espérance quand tant de personnes désespèrent et quittent leur poste de combat.

Que la Vierge du Carmel vienne nous rejoindre en ce jour où nous l’honorons ; qu’elle nous enveloppe de son amour maternel et nous fortifie en vue de la mission baptismale confiée par Dieu à chacun de ses enfants. Oui, entraîne-nous, Vierge Marie, sur tes pas nous courrons !

Fr. Jean-Alexandre de l’Agneau ocd - (couvent d’Avon)/]

Revenir en haut