Textes liturgiques (année A) : Ml 1, 14b – 2, 2b.8-10 ; Ps 130 (131) ; 1 Th 2, 7b-9.13 ; Mt 23, 1-12
Dans la seconde lecture, Paul rend grâce pour les Thessaloniciens. Et il explicite clairement le motif de son action de grâce : « Quand vous avez reçu la Parole de Dieu […] vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement, non pas une parole d’homme, mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous les croyants » (1Th 2,13).
Au cœur de cette Eucharistie, de cette « Action de grâce », que nous célébrons ensemble ce matin, nous pouvons nous interroger sur notre réception de la Parole de Dieu. L’avons-nous reçu véritablement ? Nous l’avons entendue certes, mais l’avons-nous écoutée ? Plus encore, l’avons-nous accueillie ? C’est-à-dire avons-nous fait place en nous à cette Parole pour qu’elle puisse accomplir son œuvre en nous ? Par la bouche du prophète Isaïe, le Seigneur déclare : « Ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission » (Is 55,11).
La parole de Dieu est action, elle fait ce qu’elle dit. Nous le voyons dans le récit de la Genèse : « Dieu dit » et « Cela est ». Nous le voyons dans l’évangile quand Jésus invite le paralysé à se lever et à prendre son brancard. Oui la Parole de Dieu est vivante et agissante. Le croyons-nous ? La seule chose qui puisse faire obstacle à la Parole, c’est notre liberté ; notre refus de l’accueillir pour ce qu’elle est : « La Parole de Dieu qui est à l’œuvre en nous les croyants » (1Th 2,13). Comme croyants, il nous faut vivre de la Parole, vivre sous la Parole. Pierre proclame dans l’évangile : « Sur ta parole, je vais jeter les filets » (Lc 5,5).
Pour cela, il ne suffit pas d’entendre, ni d’écouter, mais comme le dit Paul aux Thessaloniciens, il faut « accueillir » la Parole. Il faut la recevoir chez nous, il faut lui faire place en nous, pour pouvoir nous livrer à son action créatrice ; pour la laisser accomplir en nous l’œuvre du Père. La Parole proclamée dans l’évangile de ce jour est une Parole de vie pour nous. Jésus dénonce plusieurs choses, puis il nous dévoile la réalité de nos existences.
Tout d’abord, il dénonce l’incohérence qu’il peut y avoir dans nos vies, quand les paroles ne sont pas accordées à la pratique. La Parole demeure vraie et pertinente et il nous faut l’accueillir. Mais il ne faut pas imiter les actes qui sont en décalages avec cette parole.
Nous savons bien que pour chacun d’entre nous, il y a un décalage entre notre discours et notre agir. Il nous faut oser le regarder en face. Et faire en sorte que notre discours s’imprègne toujours plus de la Parole de Dieu, de manière à ce que cette Parole habite les profondeurs de notre être, et le fasse agir en conséquence. Il nous faut nous exposer à la Parole qui déploie pour nous le dessein de Dieu qui veut nous sauver et faire de nous ses enfants bien-aimés. Il nous faut nous exposer à la Parole de Dieu qui vient émonder ce qui, en nous, s’oppose à ce dessein d’amour.
Dans la suite de l’évangile de ce jour, Jésus vient dénoncer ce que nous pourrions appeler le « paraître ». Agir pour se faire remarquer ; agir pour obtenir les places d’honneur ; agir pour paraître aux yeux des autres… C’est une tentation subtile à laquelle nous ne prêtons pas toujours suffisamment d’attention. De façon souvent inconsciente, nous cherchons dans le regard des autres une confirmation, une estime, une reconnaissance. Et pour l’obtenir, nous jouons ou nous tenons un « rôle », nous ne sommes plus dans la vérité de notre être. Une philosophe allemande, Édith Stein, a beaucoup réfléchi, travaillé et écrit sur la vérité. Entrée au Carmel sous le nom de sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix, elle se tourne vers la Vierge Marie quelques jours avant sa profession solennelle et écrit cette prière : « Je sais que ce que j’ai dit et écrit sur la vérité m’engage très sérieusement. Rappelle-le moi toujours lorsque je glisse de l’être vrai dans le paraître » (Le secret de la Croix, p. 73).
Nous pouvons faire nôtre cette prière et demander au Seigneur, par l’intercession de sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, qu’il nous donne de ne pas glisser dans le paraître, mais que notre vie reçoive de lui une cohérence entre notre discours et nos actes.
Puis Jésus nous révèle dans quelles profondeurs nous sommes invités à vivre. J’y vois pour ma part, « les étreintes de la Trinité sainte ».
Tout d’abord, Jésus évoque le seul maître qui peut nous enseigner et nous établit dans une communion qui fait de nous des frères. Il s’agit de l’Esprit Saint, du Paraclet promis, qui nous enseignera toute chose (Jn 16,13).
Puis il tourne nos regards vers le Père qui est aux cieux, comme nous l’évoquerons tout à l’heure avant la communion. Le Verbe s’est fait chair pour nous apprendre, en lui, à devenir les enfants du Père.
Jésus est vraiment le Maître, le seul Maître celui qui montre une pleine cohérence entre son discours et sa vie. Il nous enseigner le chemin pour aller au Père. Il est lui-même ce chemin. Dans une lettre du 30 mars 1940, à son amie Agnella Stadtmüller, Édith Stein écrit : « Devons-nous tendre au pur amour ? Très certainement. C’est pour cela qui nous sommes créés. Il sera notre Vie Éternelle et devons ici essayer de nous en approcher autant que possible. Jésus s’est fait homme pour être pour nous le chemin qui y mène » (C II 542-543).
Et ce chemin est indiqué clairement : « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur » (Mt 23,11). Il s’agit de prendre, comme Jésus, le chemin du service. Il est venu dans le monde pour servir ; il a ceint ses reins d’un linge pour nous laver les pieds ; dans cette eucharistie, il se fait serviteur et nourriture pour nous faire vivre de sa vie : une vie donnée, une vie offerte.
Que cette eucharistie nous donne d’accueillir toujours plus profondément le mystère de la « Parole de Dieu qui est en œuvre en nous les croyants » (1Th 2,13) et qui vient donner à notre vie sa cohérence.
Amen.
Fr. Didier-Marie Golay - (Couvent de Paris)