Textes liturgiques (année A) : Pr 31, 10-13.19-20.30-31 ; Ps 127 (128) ; 1 Th 5, 1-6 ; Mt 25, 14-30 ; Mt 25, 14-15.19-21
Quelle image nous faisons-nous de Dieu, frères et sœurs ? Cette question cruciale ouvre la Bible : lorsque Dieu confie à l’homme le jardin des origines pour le cultiver et veiller sur lui, il lui fait un don gratuit et l’appelle à le recevoir comme une marque de confiance ; mais le serpent fait naître le soupçon : Dieu agit par intérêt en exerçant sa domination sur les humains. La parabole des talents met cela en scène pour nous mettre en garde contre ce venin du soupçon. L’absence du Maître laisse libre court en effet à toutes les représentations possibles, d’autant que rien n’est dit de lui, sinon qu’il a confié tous ses biens à ses serviteurs sans faire de commentaire, ni leur donner de consigne. La somme exorbitante témoigne d’une confiance inouïe, y compris envers celui qui reçoit un unique talent. Le Maître demeure désormais présent à travers ce qu’il confie à ses serviteurs. Ceux-ci sont à égalité, car si la somme diffère de l’un à l’autre, la confiance faite à chacun, elle, est identique. Les deux premiers serviteurs s’approprient l’argent en vue de travailler avec. Le troisième enterre cet argent considéré comme un dépôt qui ne lui appartient pas et qu’il se doit de restituer intact.
« Après un long temps, vient le maître. » Il n’est pas dit qu’il revient comme le traduit à tort la version liturgique, car la rencontre du Christ est toujours nouvelle. Le maître que les serviteurs découvrent à travers leur dialogue avec lui se révèle différent de celui qui les avait quittés sans qu’un tel dialogue ait eu lieu. Le texte insiste sur ce dialogue : « vient le maître et il prend ensemble parole avec eux. » De fait, l’échange occupe les trois quarts de la parabole. Il révèle la qualité de la relation vécue avec le maître durant le temps de son absence.
Les deux premiers serviteurs présentent simplement les talents en distinguant ceux que le maître leur a remis de ceux qu’ils ont gagnés. Ils ont mis à profit ce temps pour devenir des sujets responsables capables de traiter d’égal à égal avec lui puisqu’ils ont acquis autant qu’il leur a été confié. Le temps de la séparation leur a permis d’exercer leur liberté. Ils découvrent à présent le vrai visage du Maître, qui loin de reprendre ce qu’ils ont gagné, leur laisse encore ce qu’il leur avait confié. Il n’a pas d’autre désir que de les faire entrer dans son Royaume de liberté et d’amour.
Le troisième serviteur en revanche n’a rien d’autre à présenter qu’un discours sur lui-même et sur son maître. Il parle de la peur qu’il avait de lui et de ce qu’il croit savoir à son sujet. Il lui remet ce bien qu’il n’a pas su s’approprier pour le faire fructifier : « voici ce qui est à toi. » Le serviteur a soupçonné le maître d’être un homme cupide et sans scrupule. Aliéné par cette image, il n’a pas perçu l’appel à la liberté qui lui était adressé.
Ainsi, le comportement des serviteurs révèle-t-il l’image que chacun d’eux se fait du Maître : soit celle d’un dieu jaloux de ses prérogatives et de ses intérêts, soit celle d’un Dieu appelant les hommes à la responsabilité et à la Vie de son Royaume.
En définitive, la nature de la réponse finale dépend de la confiance donnée ou refusée au départ. Frères et Sœurs, c’est à la mesure de notre confiance dans le Christ que nous apprenons nous aussi à le connaître pour grandir en liberté et transmettre la vie que nous avons reçue de lui. Cette confiance donnée sans limite renverse nos peurs et nos méfiances envers celui qui a pris le chemin du Serviteur pour nous introduire dans le Royaume de son Père.
La sécularisation de nos sociétés modernes rend plus sensible l’absence de Dieu, mais elle manifeste aussi davantage l’incroyable autonomie que celui-ci nous accorde : soit nous mettons notre confiance en lui en œuvrant librement pour la vie, la communion et la sanctification du monde, soit nous enterrons le trésor de sa confiance pour courir sur des chemins de perdition. Choisir de servir le Seigneur, c’est vivre et agir pour lui, c’est accueillir son dessein d’amour sur l’humanité et faire ainsi dès à présent l’expérience de la communion avec lui comme l’exprime l’oraison de ce dimanche : « Accorde-nous Seigneur de trouver notre joie dans notre fidélité, car c’est un bonheur durable et profond de servir le Créateur de tout bien. » Frères et Sœurs, soyons dans la gratitude pour le trésor que le Seigneur nous a donné à garder et à cultiver, en demeurant fidèles dans l’attente de celui dont la venue surpasse toute espérance.
Fr. Olivier-Marie Rousseau - (Couvent d’Avon)