Textes liturgiques (année A) : Ap 7, 2-4.9-14 ; Ps 23 (24) ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a
Nous nous sentions peut-être à distance des Saints. Nous les invoquions beaucoup moins que le faisaient nos parents et nos grands-parents. Puis vint la canonisation de Zélie et Louis, deux époux, deux parents, le 18 octobre 2015. Une première dans l’Église de notre temps. Le pape François a dit dans son homélie : « Les saints époux Louis Martin et Marie Azélie Guérin ont vécu le service chrétien dans la famille, construisant jour après jour une atmosphère pleine de foi et d’amour ; et dans ce climat ont germé les vocations de leurs filles, parmi lesquelles sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. »
Je pense que là est la véritable « réforme de l’Église ». Le Seigneur nous invite à réformer notre manière de voir et de comprendre la sainteté. Le pape François a canonisé, sans miracle, en octobre 2013 la mystique Angèle de Foligno, dont les écrits ont profondément marqué la carmélite de Dijon, sainte Élisabeth de la Trinité, et en avril 2014 le bon pape Jean XXIII à qui est attribuée une grande puissance d’intercession.
« Il faut un miracle. » L’insistance sur le miracle focalise notre attention sur le miraculeux. Mais que veut dire le mot « miracle » ? Il vient du latin qui signifie : merveille. « Qu’est-ce qui nous émerveille ? » Est-ce que la vie, la vie simple et ordinaire nous émerveille ? S’étonner, s’émerveiller : voilà le commencement de la sainteté.
La première merveille sur laquelle le bébé ouvre les yeux tout grand, c’est la maman et le papa, c’est la famille. C’est ce que la canonisation de Louis et Zélie nous ont rappelé. Le premier foyer de la sainteté c’est la famille. Le miracle c’est d’enseigner à aimer l’Évangile. C’est une réalité qui est accessible à tous. Parce que l’Évangile commence par des annonciations secrètes et familiales, comme les annonces à Zacharie et Élisabeth, à Marie et à Joseph. Le premier foyer où se forge la sainteté, c’est la famille. Chez les Martin cela s’est vécu naturellement et exprimé dans la petite prière que Zélie a apprise à ses enfants : « Mon Dieu, je vous donne mon cœur, prenez-le s’il vous plaît, afin qu’aucune créature ne puisse le posséder, mais vous seul mon bon Jésus. » Faire plaisir à Jésus, être toute à Jésus, voilà le secret de la sainteté ordinaire, d’où jaillit la « petite voie », le chemin de la petitesse évangélique. La maman de Thérèse lui a appris à accepter les difficultés pour faire plaisir à Jésus, pour servir Jésus. Cette sainteté de la vie ordinaire, c’est dire à quelqu’un : le Père t’embrasse dans son miséricordieux amour, Jésus est ton véritable ami, l’Esprit saint fortifie ta foi : c’est simple. Voilà le vrai miracle vécu au quotidien, le miracle qui attire tout le monde.
L’Esprit saint nous enseigne à reconnaître la sainteté comme une réalité communautaire. Il nous rappelle que l’Église, ce ne sont pas des individus juxtaposés, mais ce sont des familles qui se réunissent, des communautés religieuses, des groupes de prières, des équipes d’action catholique, des associations de charité etc… Alors que la société de consommation nous invite trop souvent à rivaliser et à nous exclure les uns les autres, l’Esprit saint nous fait le cadeau d’un chemin de sainteté qui se vit et s’exprime ensemble, en communion avec tout le peuple de Dieu.
Donc il nous faut laisser tomber quelques préjugés sur la sainteté. La sainteté est une note de l’Église : une, sainte, catholique et apostolique. C’est la piété populaire qui a le sens mystique de la sainteté. Ainsi par exemple Anne et Joachim, les parents de la Vierge Marie : le saint peuple fidèle les a canonisés dès les premiers siècles. Le jour de notre baptême l’invocation des saints a retenti pour nous. Peu avant d’accomplir l’onction avec l’huile des catéchumènes, symbole de la force de Dieu dans la lutte contre le mal, le prêtre a invité familles et amis à prier pour ceux qui allaient recevoir le baptême, en invoquant l’intercession des Saints. C’était la première fois où, au cours de notre vie, on nous offrait cette compagnie de frères et sœurs « aînés » — les Saints — qui sont passés par la même route que nous, qui ont connu nos mêmes difficultés et qui vivent pour toujours dans l’étreinte de Dieu. Plus tard, quand deux fiancés consacrent leur amour dans le sacrement du mariage, on invoque à nouveau l’intercession des Saints, « afin que les époux s’entrainent mutuellement à la sainteté. » Dans l’ordination des diacres, prêtres et évêques, l’un des moments intense et touchant est le moment où celui qui est ordonné s’allonge tandis que l’assemblée toute entière chante la litanie des Saints.
« Soyez saints car moi le Seigneur je suis saint. » (Lv 19,2) La sainteté, c’est le grand don que chacun de nous peut rendre au monde. Sans « cette foule immense », ces hommes et ces femmes « parvenus à la sainteté en se donnant au Christ », le monde n’aurait pas d’espérance. « A l’exemple du Dieu saint qui vous a appelés, devenez saints, vous aussi dans toute votre conduite. » (1P 1,16). Le jour viendra où « nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est. » (1Jn 3,2) Que la fidélité de Dieu le Père nous affermisse ; que l’amour du Christ nous porte ; et que la puissance de l’Esprit saint nous accompagne et nous transforme.
Fr. Philippe Hugelé, ocd Lisieux - (Couvent de Lisieux)