Textes liturgiques : Is 43,1-5 ; Ps 138 ; Rm 8,14-18.28-30 ; Jn 17, 11.17-26
Aurions-nous peur de Dieu ? A en croire la Bible, probablement, puisque l’expression « ne crains pas » la parcourt de l’Ancien au Nouveau Testament. Et nous la retrouvons par deux fois dans la 1re lecture extraite d’Isaïe mais aussi dans la lettre aux Romains : « L’Esprit que vous avez reçu ne fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur. » Et pourtant, combien de temps nous faut-il pour quitter cette peur servile qui nous mène au découragement !
Ainsi Jean de la Croix écrit-il à une carmélite, fondatrice du Carmel de Caravaca : « Puisque vous ne me dites rien, je vous dis moi de ne pas être sotte et de ne pas marcher avec des craintes qui découragent l’âme. Donnez à Dieu ce qu’il vous a donné et vous donne chaque jour ; car il semble que vous voulez mesurer Dieu à l’aune de votre capacité ; il ne doit pas en être ainsi. Préparez-vous car Dieu veut vous faire une grande grâce. » (Lettre 3) Ainsi Jean de la Croix veut-il faire passer cette sœur de la peur au désir qui dispose à recevoir Dieu. Il décèle chez elle une attitude trompeuse : celle de mesurer Dieu à partir de ses capacités humaines. Cette manière de faire qui nous est si commune ne peut que nous faire stagner dans notre vie spirituelle et nous enfermer dans notre médiocrité et la plainte. C’est l’attitude de la peur servile qui empêche de grandir et d’avancer : ‘de toute façon, je n’y arriverai jamais, Dieu ne peut rien pour moi’.
Or l’Esprit que nous avons reçu fait de nous des fils et des filles de Dieu, habités non par la peur mais par la liberté filiale. Celle que nous voyons à l’œuvre dans l’évangile : le Fils n’est pas dans la peur et le découragement devant son Père ; il reconnaît que son Père lui a tout donné, son nom, sa gloire et ses disciples. Il en rend grâce et demande encore le don de l’unité des disciples. Il sait que Dieu veut lui donner encore : voilà une attitude confiante de fils, une attitude qui diffère de l’esclave craignant encore un mauvais traitement de son maître. C’est donc maintenant à nous de choisir : d’un côté la peur et le découragement ; de l’autre la confiance et le don. Ou bien nous nous replions sur nous-mêmes en projetant sur Dieu toutes nos images humaines ; ou bien nous nous ouvrons dans la foi à un Dieu toujours plus grand et meilleur que ce que nous pouvons en penser.
C’est en tout cas ce que Jean de la Croix cherche à nous montrer dans ses écrits : Dieu veut nous donner bien plus que ce que nous pouvons imaginer et au-delà de nos capacités initiales. Mais il faut le croire et pour cela quitter toutes nos fausses idées sur Dieu. Cela commence par le petit exercice spirituel de reconnaître dès aujourd’hui ce que Dieu m’a déjà donné : la vie, la foi, une famille, une communauté, un travail, telle vertu, telle rencontre, etc. Et de croire qu’il veut me donner encore plus, si je me dispose à recevoir ses dons au lieu de me plaindre de ne pas avoir ceci ou cela.
« Préparez-vous car Dieu veut vous faire une grande grâce. » Ce que Jean de la Croix dit à sœur Anne de saint Albert convient très bien en cette période de l’avent. Oui, Dieu veut nous faire une grande grâce, et même la plus grande de toutes les grâces. Il veut nous donner son bien le plus cher qui est son Fils. En lui, Il nous donnera tout ; tout ce qu’Il a et tout ce qu’Il est. Et avec ce don, nous aurons effectivement tout ce qu’il nous faut, tout ce dont nous avons besoin : un ami, un frère, un modèle qui nous montre comment nous-mêmes pouvons à notre tour devenir des fils de Dieu. Des personnes arrachées à la peur et au découragement, des êtres livrés à l’amour et donnés au monde pour que le Règne de Dieu s’étende.
Alors laissons Jean de la Croix nous dire personnellement : « apprends à aimer Dieu comme il veut l’être et abandonne ta manière de faire. » (Dicho 59) Préparons-nous à bientôt déposer devant la crèche nos manières et nos habits d’esclave ; préparons-nous déjà, tel le prodigue, à recevoir le vêtement des fils, l’habit de fête pour célébrer la venue du Fils qui nous rend fils. Que l’Esprit de liberté nous propulse sur ce chemin. Amen