Textes liturgiques (année B) : Rm 4, 1-8 ; Ps 31 (32) ; Lc 12, 1-7
« Oh ! que de fois je me rappelle l’eau vive que le Seigneur donna à la Samaritaine ! C’est pourquoi j’aime beaucoup cet Évangile. Déjà, quand j’étais enfant, je l’aimais sans comprendre la valeur de ce bien, et je suppliais très souvent le Seigneur de me donner de cette eau ; dans la pièce où je me tenais, un dessin représentait le Seigneur arrivant près du puits, avec cette légende : “Seigneur, donne-moi de cette eau.” (Jn 4,15) » (Vie 30,19) Thérèse s’est identifiée à la Samaritaine et à sa soif d’eau vive. Elle rencontre Jésus éprouvant la fatigue du chemin et la chaleur du jour, mais aussi promettant l’eau vive de la Vie de Dieu, cette Vie qu’elle a découverte dans l’oraison.
En Jésus, Dieu lui-même s’est mis en chemin pour rejoindre la Samaritaine et à travers elle, la soif de Dieu inscrite dans le cœur de tout être humain. Dans la Bible, la rencontre d’un homme et d’une femme auprès d’un puits est hautement symbolique de l’alliance nuptiale. De plus, il s’agit ici de la terre que le patriarche Jacob a donnée à Joseph (Gn 48,21s), le fils de Rachel, son épouse de prédilection qu’il avait précisément rencontrée auprès d’un puits (Gn 29,9-12). Quant à Joseph, l’époux de Marie et de ce fait le père de Jésus, n’est-il pas lui aussi fils d’un dénommé Jacob selon la généalogie de Matthieu ? Aussi, quand la Samaritaine demandera s’il faut adorer Dieu sur cette montagne ou à Jérusalem, Jésus répondra que l’adoration du Père doit se vivre en tout lieu en Esprit et en Vérité. Or, le premier lieu où une telle adoration a été vécue, c’est la maison de cet autre Joseph à Nazareth, lieu de la croissance du Fils de Dieu en son humanité. Thérèse a habité elle-même cette maison de Joseph et a fait l’expérience de sa paternité en deux moments décisifs de son existence qui ont été fondateurs de chacune de ses missions.
Le premier moment fait suite à une maladie où elle a failli mourir et qui l’a laissée grabataire. Ayant découvert l’oraison dans ce contexte, elle se tourne vers Joseph pour obtenir de lui sa guérison et pouvoir chercher cette source d’eau vive. Elle est exaucée et découvre en Joseph « son vrai père », laissant entendre que Don Alonso avait été un père défaillant. En effet, ayant refoulé ses origines juives pour s’intégrer à l’aristocratie chrétienne, celui-ci n’a pas pu transmettre à ses enfants un héritage que lui-même n’assumait pas. Saint Joseph est le véritable père capable de la soutenir dans cette quête de Dieu à laquelle son propre père avait tenté de s’opposer : « Il semble que le Seigneur a donné à d’autres saints le pouvoir de nous secourir dans certains cas, mais l’expérience m’a prouvé que ce glorieux saint nous secourt en toutes circonstances. Le Seigneur veut ainsi nous faire entendre que de même qu’il fut soumis sur terre à celui qui était son père nourricier, et qui à ce titre pouvait lui commander, il fait encore au ciel tout ce qu’il lui demande. » (Vie 6,6) Thérèse voit avant tout en Saint Joseph celui à qui le fils de Dieu a voué une obéissance filiale. Étroitement lié avec Marie au mystère de l’Incarnation, Joseph peut guider Thérèse à la rencontre du Fils de Dieu fait homme. C’est pourquoi elle conseille de le prendre comme maître d’oraison pour entrer dans le mystère de la Sainte Humanité du Christ : « Les personnes d’oraison devraient toujours s’attacher à lui ; car je ne sais comment on peut penser à la Reine des Anges, au temps qu’elle vécut auprès de l’enfant Jésus, sans remercier saint Joseph de les avoir si efficacement aidés. Que ceux qui ne trouveraient pas de maître pour leur enseigner l’oraison prennent pour maître ce glorieux saint, et ils ne s’égareront pas en chemin. » (Vie 6,8) Se mettre à l’école de Joseph, c’est en effet entrer dans le silence et l’humilité de la vie cachée à Nazareth pour vivre avec Jésus. Après des années de combat pour suivre ce chemin de l’oraison avec Saint Joseph pour maître, Thérèse fait l’expérience d’une rencontre bouleversante avec le Christ des douleurs ; de cette rencontre, jaillit une abondante source de vie qui ne tarira plus.
Le deuxième moment décisif fait suite à ce que Thérèse appelle la « vision de l’enfer ». Il ne s’agit plus ici du passage par la mort, mais de l’expérience de la perdition dont elle se découvre délivrée par la miséricorde de Dieu. Suite à cette expérience, elle raconte comment une compagne lui a suggéré de fonder une communauté réformée. Le projet séduit Thérèse, mais elle a des craintes et ne parvient pas à s’y résoudre. Elle reçoit alors une parole intérieure du Seigneur lui intimant l’ordre de répondre positivement à cette demande : « Un jour où j’avais communié, le Seigneur me commanda vivement d’y travailler de toutes mes forces ; il me promit que le monastère se ferait sans aucun doute, que Dieu y serait très bien servi ; il me dit de le consacrer à saint Joseph, qui garderait l’une de nos portes, tandis que Notre-Dame garderait l’autre et que le Christ marcherait avec nous. » C’est comme si le Seigneur voulait cette fondation pour Saint Joseph. Alors que le Carmel se disait tout entier marial, le Seigneur veut qu’à présent il soit consacré à Saint Joseph tout autant qu’à Marie afin que lui-même puisse y demeurer comme en la Sainte Famille de Nazareth. Avec Marie, Joseph est l’icône évangélique dans laquelle nous découvrons ce que signifie vivre « dans l’obéissance à Jésus-Christ » selon l’expression de la Règle du Carmel. Mais cette grâce du Carmel doit être celle de toute l’Église, car c’est bien pour l’Église que Thérèse vit cette consécration à Saint Joseph. En 1628, le Chapitre général des Carmes déclare Saint Joseph patron de l’Ordre du Carmel, mais il faut attendre le 8 décembre 1870 pour que le pape Pie IX proclame le Patronage de saint Joseph sur l’Église universelle. Il le fit dans le cadre solennel du Concile Vatican I, seize ans exactement après la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception de Marie. Si la vénération pour saint Joseph fait partie intégrante de la mission du Carmel, elle est devenue le bien de toute l’Église. En cette année, qui lui est spécialement consacrée, prenons à la suite de Thérèse Joseph, non seulement comme père et protecteur, mais aussi comme guide sûr dans notre vie de communion avec Jésus. Entrons avec Joseph dans le mystère de la vie humble et cachée de Nazareth pour découvrir en Jésus la source de la vie divine en notre humanité.