Le sel de la terre (Ho 5°dim TO - 5/02/23)

donnée au couvent d’Avon

Textes liturgiques (année A) : Is 58, 7-10 ; Ps 111 (112) ; 1 Co 2, 1-5 ; Mt 5, 13-16

La difficulté du chrétien dans le monde, on la perçoit dans ce qu’écrit St Paul : « c’est dans la faiblesse, craintif et tout tremblant que je suis arrivé chez vous. » Or, ainsi va la société où l’on fait l’évaluation des meilleurs lieux de formation, des meilleurs diplômés, des meilleurs restaurants, des meilleurs clubs de foot, des hommes les plus sexy, des femmes les plus belles, etc. Bref, pour que cela passe, il faut que cela « crève l’écran » comme on dit, « il faut en jeter » !

Et nous, que faisons-nous face à cela ? Jésus ne nous envoie pas dans le monde comme des super men ou women, il ne nous enlève pas nos fragilités. Et St Paul, tout conquérant qu’il soit et performant, n’en est pas plus rassuré. Il va vers l’inconnu, sa seule force c’est l’expérience du Christ qu’il a vécue. Il est vivant, il l’a rencontré, et cela change tout. Voilà la force de St Paul. Notre foi, donc, n’est peut-être pas qu’une affaire de conviction ! N’est-elle pas habitée de plus loin que nos fragilités ?

Alors l’expérience que nous faisons de notre fragilité en tant que chrétiens peut être un bien si elle nous oblige nous aussi à revisiter notre foi, à l’approfondir ; non pas tant en termes de connaissance, mais dans une union renouvelée et approfondie avec Jésus. Nous sommes ainsi acculés à affronter le monde, non à partir de nos compétences qui nous donneraient une assurance, une contenance fabriquée, mais à partir de notre humanité faillible et finalement pauvre. Car ce n’est pas de nous-mêmes que nous avons à témoigner, mais de Jésus, le Ressuscité. C’est pour cela que le Christ nous convoque.

Sur quoi alors s’appuie notre agir dans le monde, sur quoi s’appuie notre vie ? Mais sur la réalité de notre être, non pas sur les images fantasmées que nous en avons. Nous restons des hommes et des femmes ordinaires.

Ce Jésus nous dit aujourd’hui que nous sommes le sel de la terre, la lumière du monde. Ce Jésus, voilà qu’il nous envoie dans le monde, auprès de nos frères en humanité. Et la société que nous rencontrons, c’est celle entre autres qui se révèle en ce sondage : « Cette enquête relativement récente faite pour un journal auprès de 64 000 personnes sur 53 pays. Et bien les Français sont les plus pessimistes des êtres humains en ce qui concerne la situation économique de 2011. Plus sombres sur leur situation personnelle à venir que… les Irakiens, les Afghans ou les Pakistanais. Notre pays se situe dans le top 3 des pessimistes pour l’emploi, même si, sur ce point, la défiance perd un peu de terrain. »

Notre force chrétienne, où est-elle ? Eh bien dans cette foi en Christ, et c’est bien plus qu’une conviction, c’est le fruit d’une rencontre. Elle est dans cette espérance que cela ouvre en nos cœurs, dans cette direction que cela nous donne pour notre agir. Nous avons à porter dans ce monde une âme, un sens, une direction. Là où les forces de divisions sont à l’œuvre, nous avons à apporter cette unité intérieure que le Christ construit en nous, là où il y a le mensonge, la vérité ; là où la violence, que règne notre paix ; là où l’on condamne, la miséricorde. Et nous, nous avons parfois honte d’être chrétiens.

Il nous faut retrouver notre fierté d’appartenir au Christ, au cœur de nos difficultés dans la dynamique de ce qu’écrit Etty Hillesum :

« Ce matin en longeant à bicyclette le Stadionkade, je m’enchantais du vaste horizon que l’on découvre aux lisières de la ville et je respirais l’air frais qu’on ne nous a pas encore rationné. Partout, des pancartes interdisaient aux Juifs les petits chemins menant dans la nature. Mais au-dessus de ce bout de route qui nous reste ouvert, le ciel s’étale tout entier. On ne peut rien nous faire, vraiment rien. On peut nous rendre la vie assez dure, nous dépouiller de certains biens matériels, nous enlever une certaine liberté de mouvement tout extérieure, mais c’est nous-mêmes qui nous dépouillons de nos meilleures forces par une attitude psychologique désastreuse. En nous sentant persécutés, humiliés, opprimés. En éprouvant de la haine. En crânant pour cacher notre peur. On a bien le droit d’être triste et abattu, de temps en temps, par ce qu’on nous fait subir ; c’est humain et compréhensible. Et pourtant, la vraie spoliation c’est nous-mêmes qui nous l’infligeons. Je trouve la vie belle et je me sens libre. En moi des cieux se déploient aussi vastes que le firmament. Je crois en Dieu et je crois en l’homme, j’ose le dire sans fausse honte. La vie est difficile, mais ce n’est pas grave. Il faut commencer par « prendre au sérieux son propre sérieux », et le reste vient de soi-même. Travailler à soi-même, ce n’est pas faire preuve d’individualisme morbide. Si la paix s’installe un jour, elle ne pourra être authentique que si chaque individu fait d’abord la paix en soi-même, extirpe tout sentiment de haine pour quelque race ou quelque peuple que ce soit, ou bien domine cette haine et la change en autre chose, peut-être même à la longue en amour - ou est-ce trop demander ? C’est pourtant la seule solution. Je pourrais continuer ainsi des pages entières. Ce petit morceau d’éternité qu’on porte en soi, on peut l’épuiser en un mot aussi bien qu’en dix gros traités. Je suis une femme heureuse et je chante les louanges de cette vie, oui -vous avez bien lu, en l’an de grâce 1942, la énième année de guerre ».

Fr. Yannick Bonhomme, ocd - (couvent d’Avon)
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